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Ceux qui voudront füir ; autant de coups qu’il donne
De son crochet de fer, tout l’abisme resonne ;
Les esprits font sortir de grands gemissemens,
Et maints tout esperdus rentrent aux monumens.
L’ame de Mandricard, du grand bruit éveillée,
Tenoit la veuë en bas toute rouge et souillée
De honte et de despit, et voit en se levant
Un gros nœu de serpens enflammez par devant,
Marquetez tout par tout de couleur bleuë et verte,
Qui jettoient par les yeux et par la bouche ouverte
De grand’s pointes de feu ; le suc qui degoutoit
Tous les lieux d’alentour de venin infectoit.
Luy, qui les recueillit d’une allegresse pronte,
Les jette à Rodomont, pensant vanger sa honte ;
Mais il n’en fait que rire, et, comme en se jouant,
D’une main les suffoque et les va secouant.
L’esprit plus que jamais transporté de colere,
Voyant le peu de cas que son fier adversaire
Fait de tous ses efforts, saute dessus le pont,
Puis de toute sa force il hurte Rodomont,
Et le choque si fort, que l’ombre malheureuse,
La teste contre bas, tombe en l’eau tenebreuse ;
L’eau se fend au dessous et rejaillit en haut.
L’esprit est tout troublé de ce dangereux saut,
Et commence à nager pour gaigner le rivage,
Brûlant au fond de l’eau de fureur et de rage ;
D’une sueuse écume il est tout degoutant,
Et va l’eau par la bouche et par les yeux jettant.
Pluton, reprenant cœur, animoit la canaille :
« Sus, compagnons, dit-il, qu’on saute la muraille,
Qu’on garde ce hautain de revenir à port,
Qu’on luy fasse sentir une seconde mort.
Si quelqu’un le peut faire à celuy-là j’ordonne
D’un cypres mortuaire une riche couronne. »
Mandricard, entendant tout l’enfer s’émouvoir
Aux propos de Pluton, luy qui ne veut avoir
Un second en sa gloire acquise à tant de paine,
Du creux de l’estomach pousse une voix hautaine.
« Si tu ne veux, dit-il, Pluton, t’en repentir,
Donne ordre à tes esprits qu’ils ne puissent sortir ;
Ou sinon, contre toy je tourneray mes armes,
Profanant ma valeur sur tes fresles gendarmes. »
Cependant Rodomont ayant bien travaillé,
Malgré tous leurs efforts sort de l’eau tout mouillé,
Si possedé de rage et d’ardeur violente,
Que le fier Mandricard le voyant s’espouvante.