Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/441

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Que l’un pour une espée estonne l’univers,
Faisant voller au vent mille estendars divers,
Et que l’autre, agité d’une folle jeunesse,
Sur un courroux vengeur fonde sa hardiesse.
Je n’ay point fait ainsi : tous mes faits entrepris
Ont eu l’Amour pour guide et sa mere Cypris.
Celuy seul est vaillant, qui, devôt, sacrifie
Au puissant dieu d’Amour ses armes et sa vie.
Mais, de grace, Pluton, cherche de m’alleger ;
Je pourray mieux apres te sortir de danger. »
« Helas ! ce dit Pluton, que veux-tu que je face,
Si la rage d’Amour comme toy me pourchasse ?
Et si ses poignans traits, acerez de rigueur,
Jusqu’au fond des enfers viennent percer mon cœur ?
Et bien qu’incessamment sa fureur me possede,
Je n’ay peu, malheureux, trouver un seul remede
Qui m’en puisse exanter ; mais plus je vais avant,
Plus je voy ce tyran contre moy s’élevant. »
Voulant continuer, les ruisseaux qui descendent
Bouillonnans de ses yeux, le parler luy deffendent ;
Et va laschant du cœur des soupirs enflamez,
Dont ces lieux tenebreux regorgent enfumez.
L’ombre de Rodomont sur le pont se pourmaine,
Continuant tousjours, orgueilleuse et hautaine,
De menacer Pluton, de bruire et de crier,
Et les esprits damnez au combat desfier.
Le vaillant Mandricard pour resister se monstre ;
Rodomont, qui le voit, soudain vient à l’encontre,
Tenant par l’un des pieds Caron tout effroyé.
Apres que le payen eut long-tans tournoyé
Le vieillard miserable à l’entour de sa teste,
Il l’élance en bruyant comme un trait de tempeste
Droit contre Mandricard, et l’attaint tellement,
Que l’esprit estourdy perd tout le sentiment.
Il tombe en chancelant, et Caron tout de mesme
Tombe aux pieds de Pluton, qui devient froid et blesme,
Et qui est de ce coup tellement estonné,
Qu’il a de grand frayeur son sceptre abandonné.
Ce sceptre estoit de fer, d’une barre massive,
Ayant un croc au bout de grandeur excessive.
Rodomont l’apperçoit, qui tout soudainement
S’approche et, se courbant, le saisit hardiment.
Ayant ce croc au poing, il ne sçauroit plus croire
Que les plus redoutez de la region noire
Osent luy faire teste ; il commence à frapper,
Pour renverser le pont et garder d’eschapper