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Mais Pluton, ennuyé de tant ouyr debatre,
Tasche à les appaiser, pour les faire combatre
L’ame du roy d’Arger, qui tousjours cependant
Estoit dessus le pont hardiment attendant.
« Cessez, leur dit Pluton, cessez vostre querelle ;
Une plus juste cause au combat vous appelle ;
Quant à vos differens, en quelque autre saison
Le juste Rhadamant vous en fera raison.
Mais puis qu’en tant de lieux vostre gloire est connuë,
Puis que jusques icy vous l’avez maintenuë
Claire et haute en degré, faites pour l’advenir
Qu’avec le mesme honneur puissiez l’entretenir.
Qui acquiert fait beaucoup, mais il fait davantage,
Qui, l’ayant bien acquis, garde son heritage.
Si vous avez bien fait quand vos corps ont vescu,
Or qu’en estes privez, d’un courage invaincu
Faites encores mieux, monstrant par vostre force
Que les corps ne sont rien qu’une debile escorce. »
Ainsi le dieu d’enfer animoit ses esprits,
Quand le preux Mandricard, qui de gloire est épris,
S’escrie : « Ô roi des morts ! laisse-moy l’entreprise
De punir ce vanteur, qui tes forces mesprise ;
Je le rens sans pouvoir, captif de ta grandeur.
Mais devant, s’il te plaist, appaise un peu l’ardeur
De la rage d’Amour, qui me tient tout en flame,
Et qui, comme un vautour, se repaist de mon ame.
Tous ces autres tourmens, punisseurs des mesfaits,
Les cris, l’horreur, l’effroy, les serpens contrefaits,
La faim du Phrygien, le travail des Belides,
Le fouët ensanglanté des fieres Eumenides,
Et tout le plus cruel qui soit icy dedans,
La torture, la rouë et les flambeaux ardans,
Ne me blessent point tant que l’amoureuse rage,
Qui d’ongles et de dents cruellement m’outrage.
S’il te plaist pour un peu sa rigueur moderer,
Laisse-moy faire apres, je te veux asseurer,
Non sans plus du payen qui brave te fait craindre,
Mais je veux Jupiter et Neptune contraindre
De te payer tribut, et que, victorieux,
Tu sois dieu de la mer, des enfers et des cieux.
Il reste seulement que l’amour qui me tuë
D’un trespas renaissant sa fureur diminuë. »
Il se tourne à ces mots, regardant fierement,
Comme par un dédain, Gradasse et Agramant.
« Retournez, ce dit-il, retournez sur la terre.
Miserables esprits, recommencez la guerre ;