Peste des grands seigneurs, d’un cœur bouillant et chaud,
Je fey vœu de combattre et Roland et Renaud ;
J’eu le cheval de l’un, de l’autre j’eu l’espée,
Au sang des ennemis à toute heure trempée. »
L’esprit audacieux ne cessoit de conter
Sans le fier Mandricard, qui ne peut supporter
Sa parole orgueilleuse, ains tout plein de furie,
L’œilladant de travers, horriblement s’escrie :
« Cet effroy des humains, ce guerrier si vaillant
Eschauffé d’un beau sang et d’un cœur si bouillant,
Ne s’est peu garantir avec tant de puissance,
Qu’il n’ait esté captif sous mon obeyssance.
Astolfe, qui n’est point de ces grands chevaliers
Qu’on renomme pour estre au combat des premiers,
D’une lance dorée, inutile à la guerre,
Luy fit perdre la selle, estendu contre terre.
Et encor il se vante et, pour mieux s’avancer,
Il menace les cieux et nous veut devancer,
Nous dont la renommée en tous lieux espanduë,
Immortelle et durable à bon droit s’est renduë. »
Gradasse est tout émeu d’un courroux vehement,
Et le veut démentir ; mais l’esprit d’Agramant
Le devance à parler en voix terrible et forte,
Et, regardant Pluton, commence en cette sorte :
« Pourquoy font-ils debat d’un droit qui m’appartient ?
Car, puis que cet honneur par les armes nous vient,
On ne me le sçauroit justement contredire ;
J’ay veu trente-deux rois vassaux de mon empire,
J’ay eu plus de soldats à mon commandement
Qu’on ne voit de flambeaux la nuict au firmament ;
J’ay fait planer les monts, j’ay tari les rivieres
Par le nombre infiny de mes troupes guerrieres ;
J’ay fait de sang humain les plaines ondoyer,
Et la mort nuit et jour par les champs tournoyer.
« Pluton, tu le sçais bien, la memoire est recente,
Combien par ma valeur d’esprits ont fait descente
Dans ces lieux tenebreux ; Caron le sçait assez,
Qui de les trajetter eut les membres lassez.
Mais afin qu’à mon droit rien plus ils ne pretendent,
Monstre-nous le journal des ombres qui descendent
Avant terme aux enfers ; on connoistra comment
J’ay plus accreu ton regne en deux jours seulement
Qu’eux en toute leur vie, et que ma dextre armée
A peuplé de subjets ta grand’ salle enfumée. »
Ainsi ces trois esprits de propos combatoyent,
Et pour gagner l’honneur leurs gestes racontoient ;
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