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Ainsi dit Proserpine, et les esprits tenus
Au plus profond d’Averne en bruyant sont venus
Rauder à l’entour d’elle, esmeus de sa promesse,
Et veulent sans delay monstrer leur hardiesse.
Agrican le premier, brave, s’est presenté,
Agramant vient apres, et l’esprit redouté
Du vaillant Mandricard, qui brûle de combattre,
Et veut de Rodomont l’outrecuidance abattre.
Le ciel tout courroucé de leurs si longs debats,
Pour les faire cesser courbe le sein en bas,
S’anime de fureur, et de sa dextre armée
Delasche la tempeste et la foudre allumée.
On n’oit rien qu’un tonnerre esclatant et bruyant,
On ne voit rien qu’esclairs sifflans en tournoyant ;
Et tombent coup sur coup, comme flèches pendentes,
Du ciel dans les enfers de grand’s flammes ardentes.
La terre, qui s’estonne en ces extremitez,
D’ouyr l’enfer qui tremble et les cieux irritez
Bruire, esclairer, tonner, pense toute craintive
Que c’est la fin du ciel et d’enfer qui arrive ;
Tout ce qui est en haut, en bas, de tous costez,
Bestes, hommes, démons, sont tous espouvantez.
L’ombre de Rodomont, de son corps separée,
Est seule en cet effroy qui demeure asseurée,
Qui menace le ciel, l’air et les élemens,
En despitant l’enfer et tous ses tremblemens ;
S’elle trouvoit la mort, comme elle a bien envie,
Elle la contraindroit de luy rendre sa vie,
Et veut, malgré Pluton et les manes ombreux,
Establir son empire aux enfers tenebreux.
Chacun fuit au devant, quelque part qu’il s’avance,
Et luy, qui continué en sa fiere arrogance,
Saute dessus le pont, et s’en fait possesseur,
Car de crainte surpris le chien engloutisseur,
Et les tristes Fureurs, de sang entretachées,
S’estoient au fond d’Averne honteusement cachées.
Pluton à cette fois ne sçait que devenir,
Et pense voir encor Hercule revenir
Avec ses compagnons pour ravir Proserpine,
Pressez du leu d’Amour ardant en leur poitrine ;
Il bruit, il se tourmente et, de fureur attaint,
Maudissant sa fortune, il sanglote et se plaint.
Les esprits stigieux sont émeus de liesse,
Voyant leur fier tyran en peine et en destresse ;
Mais luy, qui voit sa perte et n’a point de repos,
Les invoque à son ayde et leur dit ces propos :