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L’autre desesperé, comme un foudre élancé,
Se jette sur Roger et le tient embrassé,
Et luy de son costé l’estreint de toute force.
Alors chacun des deux à qui mieux mieux s’efforce
De choquer, de pousser, d’estraindre et se mouvoir,
Conjoignant l’artifice avec leur grand pouvoir.
Roger à ce combat est dextrement agile,
Et le fier Rodomont, qui tout par tout distille
Et qui pisse le sang par tous les lieux du corps,
N’a les bras si tendus ny les membres si forts ;
Tellement qu’à la fin, apres mainte secousse,
Maint tour et maint retour, Roger si fort le pousse,
Mettant le pié devant, qu’il le fait trébucher
Comme une grosse tour ou comme un grand rocher,
Quand ils sont emportez par l’effort du tonnerre,
Puis qu’avec un grand bruit ils retombent en terre.
Roger sur l’estomach luy met les deux genoux
Et d’un bras vigoureux luy donne mille coups,
Luy fait crier le ventre, et le charge et le presse.
Le harnois retentit sous le fer qui ne cesse.
Comme aux mines de l’or bien souvent il advient
Que tout à l’impourveuë une ruine survient,
Qui suffoque les uns, et les autres à peine
Peuvent ouvrir la bouche et r’avoir leur haleine :
Le payen est ainsi, qui ne peut respirer,
Ni des poumons pressez son haleine tirer.
Roger luy tient, vainqueur, le poignard à la face,
Et d’une mort prochaine en parlant le menace,
S’il ne se vouloit rendre afin de se sauver ;
Mais luy, qui veut plustost mille morts esprouver
Que d’abréger sa gloire en allongeant sa vie,
Fait voir en se taisant qu’il n’en a point d’envie.
Il s’efforce, il remuë, et met tout son pouvoir
De renverser Roger et dessus luy se voir,
Sans qu’avec tant d’efforts il avance sa paine,
Car celuy qui le tient rend sa puissance vaine.
Qui a veu quelquefois un mâtin renversé
Dessous un puissant dogue, au dos tout herissé,
Qui luy tient de la dent la maschoire entamée ;
Le mâtin se debat d’une rage enflammée,
Sa lèvre est écumeuse, il a les yeux ardens,
Et monstre en rechignant de grands crochets de dents ;
Il a veu Rodomont sous Roger se debatre,
Qui voudroit s’il pouvoit la fortune combatre.
Il maugrée, il écume et s’émeut tellement,
Qu’il se depestre un bras, dont tout soudainement