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De bride et d’esperon ils les font relever,
Puis d’extrême fureur viennent se retrouver,
Le coutelas au poing, tous deux brûlans d’envie
De voir leur sang en terre et s’arracher la vie.
Leurs harnois martelez d’éclairs estinceloient,
Ils tournent leurs chevaux ainsi comme ils vouloient ;
Or’ à gauche, or’ à dextre ils cherchent l'avantage,
Et tastent les endroits pour se faire dommage.
Roger teint son espée au sang de Rodomont,
Et celle du payen rebondist contremont
Sur l’armure enchantée et ne peut, quoy qu’il face.
Entamer la sallade ou le corps de cuirace ;
Dont il crève de rage, écumant, enflammé,
Et fait aussi grand bruit que le flot animé
De la mer courroucée au tans qu’elle s’augmente,
Et que le froid hyver par les vents la tourmente ;
Car Roger, sans repos, le poursuit furieux,
Empourprant de son sang la terre en mille lieux.
Rodomont, qui blaspheme et despite en soy-mesme
La lumiere et le ciel, d’une colere extrême,
Menaçant le dieu Mars, a soudain arraché
Son escu qui pandoit par lambeaux detranché,
Le jette contre terre et, plein de violence,
Comme un fort tourbillon en bruyant il s’avance,
Prend l’espée à deux mains, qui siffle, en descendant
De pareille roideur qu’un tonnerre grondant,
Ou qu’un chesne ébranlé par l’effort de l’orage,
Qui foudroie en tombant les tresors d’un bocage.
Sur l’armet de Roger le coup est descendu
Qui, sans l'enchantement, tout entier l’eust fendu.
Roger, tout estourdy d’une telle tempeste,
Trois fois contre l’arçon laissa pancher sa teste,
Ne sçait plus où il est, s’il est jour, s’il est nuit,
Et tousjours Rodomont impiteux le poursuit,
Et sur le mesme endroit un autre coup redouble,
Qui fait que de Roger la lumiere se trouble.
ll laisse choir la bride, il ouvre les genoux,
Chancelant et tombant ; l’autre double ses coups
Et martelle tousjours, car il ne veut attendre
Que l’esprit luy revienne et se puisse deffendre.
Mais, en continuant trop furieux et prompt,
Son espée à la fin jusqu’aux gardes se rompt.
« Fay ce que tu voudras, sois moy tousjours contraire,
Jupiter, ce dit-il, si ne sçaurois-tu faire,
Ny toy ny tout le ciel contre moy conjuré,
Que ce chetif m’échappe et demeure asseuré. »