De rabattre l’orgueil de ce fier adversaire.
Mais Roger, point au vif d’une juste colere,
Crie apres son harnois, au combat animé.
Et n’a presque loisir de se voir tout armé.
Chacun pour l’assister soudain se met en place ;
Marfize et Bradamant luy vestent la cuirasse.
Charles luy ceint l’espée, et Naismes et Oger
Faisoient autour du camp tout le peuple ranger.
Renaud tient son cheval, qui bat du pié la terre
Qui blanchist tout son mors, qui le masche et qui serre
Aucunesfois l’oreille, et d’un hannissement
Temoigne que la guerre est son esbatement.
Roger monte dessus, et Dudon qui s’avance
À chacun des guerriers baille une forte lance,
De pareille grosseur, de force et de grandeur.
Lors des deux bouts du champ s’avancent de roideur,
Ne plus ne moins qu’on voit dedans un gras herbage
Deux toreaux eschauffez de l’amoureuse rage,
S’éloigner l’un de l’autre et tourner bravement,
Laissans tout le troupeau saisi d’estonnement.
Les dames, cependant, aussi mortes que vives,
D’un si soudain effroy tremblent toutes craintives,
De la sorte qu’on voit les colombes en l’air,
Qui tout en un instant ne sçavent où voler,
Quand l’émeute des vents, la gresle et la tempeste
Les estonne et surprend, voulant faire leur queste.
Chacun tressaut de crainte et pallist pour Roger,
Voyant le fier semblant du superbe estranger,
Qui pique en l’abordant ; sous luy la terre tremble.
Et croit-on que le ciel à l’abisme s’assemble.
Roger vient d’autre part, qui fait bruit en courant,
Comme le flot grondant d’un superbe torrent.
À ce terrible choc, les deux lances baissées
Jusques dans la poignée éclaterent froissées.
Mais les coups sont divers : Rodomont, qui donna
Dans l’écu de Roger, seulement l’estonna
De la force du coup, sans luy faire nuisance ;
Car l’écu qui s’oppose au fer fit resistance.
Roger semblablement dans l’écu s’adressa,
Mais le coup fut si grand, qu’en outre il le faulsa,
Bien qu’il fust bon et fort, et que la couverture
Fust d’un acier luisant, bien trempée et bien dure ;
Et ne fust que du coup Roger brisa son bois,
Il luy perçoit tout net le corps et le harnois.
Les chevaux, estonnez de rencontre si fiere,
Mettent la croupe en terre et panchent en arriere,
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