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Car il fremist tousjours et, ce qui est doutable,
Il craint qu’en le cherchant le trouve veritable,
Mais il a beau füir : car l’obstiné malheur
Ne luy veut espargner un seul point de douleur.
L’hoste de la maison, qui voit comme il soupire,
Qu’il tient la veuë en bas, et qu’il tire et retire
Tant de sanglots rompus, pensant le resjouyr,
Luy veut des deux amans le discours faire ouyr.
« Cessez, grand chevalier, dit-il, de vous contraindre
Et chasse le regret qui dedans vous fait plaindre ;
Si vous estes pressé d’angoisse ou de courroux,
Sans le couver ainsi, bannissez-le de vous.
Il vous faut esperer : long-tans n’est importune
L’ombre aux rais du soleil, aux vertus la fortune ;
Le sort de nos projets se jouë insolemment,
Le seul estat des dieux est franc du changement.
Mais quel autre nuage en si grande jeunesse,
Peut troubler vostre esprit, que la feinte rudesse
D’une beauté superbe ? hé, bien qu’il fust ainsi,
Devez-vous sans espoir vous gesner de soucy ?
La femme est variable, et telle en sa pensée
S’accorde à vostre amour, qui s’en monstre offençée ;
Puis la loy du destin, disposant d’icy bas,
Rend heureux bien souvent ceux qui n’y pensent pas.
« L’un de ces jours derniers, durant la saison belle
Que les prez et les bois prennent robe nouvelle,
M’égarant par les champs, du bon-heur adressé,
Je découvre à mes pieds un jouvenceau blessé,
Qui tiroit à la fin, et d’une large vaine
Son beau sang ruisseloit comme d’une fontaine ;
Son chef estoit poudreux, son teint palle et seché,
Pareil au jeune lis que l’orage a touché,
Sans effort, sans vigueur, lorsqu’en cette infortune
Il esprouva du ciel la faveur opportune ;
Car presqu’au mesme instant une vierge y survint,
Dont l’ame à cet objet toute pitié devint.
La nimphe n’avoit lors qu’une vesture telle
Que la porte en ces bois la jeune pastourelle,
Mais son port venerable est plein de gravité,
Qui nous descouvre en terre une divinité.
Ses regards, ses façons, sa grace et sa hautesse
Me confirment encor que c’est une deesse.
Pronte, entre deux cailloux, d’une herbe elle pila
Et retint dans sa main le jus qui distila,
Le versa dans la playe, et tellement s’efforce,
Qu’elle estanche le sang et qu’il eust quelque force ;