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Medor, pour faire foy du plaisir desirable,
Qui l’avoit bien-heuré dans ce lieu delectable,
Par dessus tous les dieux, avoit subtilement
En mille et mille endroits peint son contentement.
On voit tout à l’entour mainte et mainte devise,
Et ne peut courir l’œil un seul lieu qu’il n’y lise
Gravé de cent façons : Angelique aux beaux yeux,
Angelique et Medor le favori des cieux !
Roland regarde tout, ayant l’ame saisie
De la froide poison d’une aspre jalousie,
Et chancelle inconstant, comme le prestre saint
Que le tan de Bacchus trop vivement attaint ;
Or ainsi que tousjours de plus pres il s’approche,
Et contemple estouné la fontaine et la roche,
Tournant mille discours en son entendement,
Voit ces vers de Medor engravez fraischement :
« Ô tertres verdissans ! ô fideles ombrages
Des antres tenebreux, des prez et des rivages !
Ô bois delicieux ! ô doux courans ruisseaux.
Espessement bordez d’amoureux arbrisseaux !
Où la belle Angelique, ornement de cet age,
Qui de tant de grands rois enflamma le courage,
La fille à Galafrou, seul miracle des cieux,
Celle qui fit trembler les plus audacieux,
Abaissant sa hautesse et sa race royale,
À moy, pauvre Medor, se fist si liberale,
Que mille fois ensemble en mille heureux plaisirs,
Avons donné relasche à nos bouillans desirs.
« Pour ces douces faveurs entre vos bras reçuës,
Tertres, ombrages, bois et cavernes moussuës,
Herbes, rives et fleurs, je ne puis avancer,
Si je veux presumer de vous recompenser :
Parquoy, ne pouvant mieux, je benis à toute heure,
De cœur, d’ame et de voix, cette heureuse demeure ;
Priant tous palladins qui passeront icy,
S’ils ont jamais senty le doux-poignant soucy
Du grand vainqueur des dieux, qu’aux fidelles ombrages
Aux antres tenebreux, aux prez et aux rivages,
Aux bois delicieux, aux doux courans ruisseaux,
Espessement bordez d’amoureux arbrisseaux,
Ils souhaitent ainsi : ces lieux tant desirables
Ayent à tout jamais les nymphes favorables,
La lune et le soleil, et jamais pastoureau
Ne puisse en leur giron conduire son troupeau. »
Cinq ou six fois Roland relut cette écriture,
Les yeux tousjours fichez contre la roche dure,