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À tout cela qu’il voit, et lit par tout encor,
Enlacez de cent nœuds : Angelique et Medor.
Desjà d’un chaud despit sa poitrine est atteinte,
Et maint jaloux penser le fait pallir de crainte ;
Autant de traits qu’il voit, autant de clous ardans
Amour fiche en son cœur, qui s’enfoncent dedans.
Encor il ne sçait pas que tout cecy veut dire ;
Toutesfois il fremit, et dans l’ame il soupire,
Puis il se reconforte, et de tout ce qu’il voit
Il s’efforce de croire autrement qu’il ne croit.
Il feint mille discours et pense à l'avanture
Que quelque autre Angelique a fait cette escriture ;
Puis il connoist la lettre et voit qu’il se deçoit,
Mais une autre esperance aussi-tost il conçoit.
« Hors de moy, ce dit-il, penser qui me devore !
Je connoy maintenant que celle que j’adore
(Amour en soit loué) m’aime parfaitement,
M’ayant sous un Medor déguisé finement ;
Car je suis ce Medor et connoy que ma dame,
En déguisant mon nom, veut déguiser sa flame. »
Ainsi disoit Roland, mais un nouveau penser
Luy fait presque aussi-tost ce propos delaisser ;
Son frisson recommence, et ce qui le fait craindre
S’envenime et s’accroist plus il le veut contraindre.
Comme le simple oiseau, qui s’engage et se prend
Au piege et à la glus que l’oiseleur luy tend,
Tant plus qu’il bat de l’aile et que plus il s’efforce
De se desempestrer, plus la glueuse amorce
L’attache et le retient : Roland en est ainsi,
Qui sent croistre tousjours son amoureux soucy.
Or’ il rève immobile, et or’ il se destourne,
Puis deçà, puis delà, et jamais ne sejourne
Son penser variable, et sent dedans le cœur
Un combat obstiné d’esperance et de peur.
Discourant en ce point sans qu’il pense à soy-mesme,
Tant il est possede d’une manie extrême,
Il vient jusques aux lieux où les amans heureux,
Sur la chaleur du jour doucement langoureux,
Se retiroient à l’ombre au frais d’une fontaine,
Où de mille plaisirs ils enyvroient leur paine,
Ores de leurs desirs doucement jouyssans,
Ores demy-lassez mollement languissans ;
Et soudain, repiquez de l’amoureuse touche,
Ils se tenoyent collez la bouche sur la bouche,
Le flanc contre le flanc, et nageoient à souhait
Dans le fleuve d’Amour de nectar et de laict.