Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et bien qu’il n’eust pas craint une puissante armée,
Si tost qu’il eut d’un trait sa poitrine entamée,
Et que de deux beaux yeux le rayon s’espandit,
Il mit les armes bas et vaincu se randit.
Chetif, que feroit-il, si la celeste bande
Des esprits immortels, si le dieu qui commande
Aux enfers tenebreux, et cil qui peut donter
L’orgueil des flots mutins, n’ont sceu luy resister ?
Or pour fléchir le cœur de sa fiere maistresse,
Il fait en mille endroits retentir sa proüesse,
En Inde, en Tartarie, et desjà l’Oriant,
Restant tout estonné, va ses faits publiant ;
Puis il repasse en Gaule, où le peuple d’Espagne,
Le Numide et le More emplissoient la campagne,
Conduits par Agramant, qui desjà se promet
Que la France captive à ses loix se soumet.
Là de mille beaux faits il enrichit sa gloire,
Là de mille combats remporta la victoire ;
Il foudroye, il saccage, horrible et furieux,
Et l’ennemy, qui craint son bras victorieux,
Fuit au devant de luy, comme dedans la plaine
Fuit au devant du loup le mouton porte-laine.
Qui a veu quelquesfois tournoyer dedans l’air,
Gronder et faire feu le tonnerre et l’éclair,
Puis, tombant tout à coup en mille estranges sortes,
Esclater et partir les roches les plus fortes,
Briser les marbres durs, crouler les fondemens,
Et peste-mesle encor broüiller les elemens,
Il a veu ce guerrier, qui porte, en tous allarmes,
La foudre en sa main droite et la mort dans ses armes,
Et comme un nouveau Mars, dehachant et taillant,
Fait refroidir le sang du plus brave et vaillant.
On n’oit autour de luy que mortelles complaintes ;
Son espée et son bras et ses armes sont taintes
Du sang des ennemis : car rien ne les deffend,
Maille ny corselet, quand Durandal descend.
Il fend, il taille, il perce, il frappe, il tuë, il chasse.
Chacun fuit devant luy : qui son armet délace,
Qui laisse choir sa lance, et qui souventesfois
Quitte là son espée, et fuit dedans le bois
Qui deçà qui delà, et leur ame craintive,
À chaque flair de vent croit qu’encore il les suive,
Qu’il presse leurs talons et qu’il hausse le bras,
Pour les priver de vie au milieu de leurs pas.
Comme un jeune chevreuil, qui dedans son bocage
A veu le fier lyon, chaud de soif et de rage,