Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/413

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si de peu de saisons ma vie est limitée,
Ayant d’un si grand roy la faveur meritée,
Je n’ay qu’assez vescu, mes esprits sont contans :
« Tous ceux qu’aiment les dieux ne vivent pas long-tans. »
Je jure par ton nom, qui m’est si doux à l’ame,
Qu’un seul trait de douleur au trespas ne m’entame,
Fors du mal qui t’afflige, et l’ennuy de n’avoir,
Te servant plus long-tans, témoigné mon devoir.
Ce regret seulement suivra ma sepulture,
Et par moy Lycidas le semblable te jure,
Qui las ! toutes les nuits se lamente dequoy
Le tans ne t’a fait voir plus d’effets de sa foy.
Mesme la nuit derniere, en l’horreur plus espesse,
Alors que tous mes gens de peine et de tristesse
Gisoient appesantis, de mon œil non touché
Des pavots du sommeil, foible, il s’est approché,
Sanglant, la couleur palle et la façon peu gaye,
Et couvroit de sa main la grandeur de sa playe.
Helas ! bien differant de celuy qu’il souloit,
Quand sa jeune beauté tant d’appas receloit !
Damon, me disoit-il, pour qui la destinée
M’a fait dès mon aurore accomplir ma journée,
Voicy ton heure proche, il te faut avancer ;
J’ay resté jusqu’icy pour ne te point laisser,
Afin que, comme en terre, aux plaines Elysées
On ne voye un seul jour nos ames divisées.
Mais devant, cher amy, que tu quittes ce lieu,
A mon prince et au tien dy l’éternel adieu,
Conte luy qu’en mourant j’eu son nom en la bouche,
Et que tousjours de luy le souvenir me touche,
Regrettant de n’avoir, suivant ma volonté,
Monstré de quelle ardeur j’adoroy sa bonté ;
Dy luy que d’autre ennuy je n’ay l’ame oppressée,
Mais fay-le prontement, car ton heure est pressée,
Je vouloy luy respondre alors qu’il s’envola,
Et mon embrassement rien que vent n’accola.
Reçoy donc ce devoir dont pour luy je m’acquitte,
Et croy que ta vertu ne fut onc mieux écrite
Qu’elle estoit en son cœur à toy seul reservé,
Où jamais autre trait ne put estre engravé !
Croy, s’il te plaist, aussi que la Parque ennemie,
Ni du triste Lethé l’oubliance endormie,
Jamais en nos esprits ton nom n’effacera ;
Un breuvage amoureux sa liqueur nous sera,
Qui de tout autre objet emportant la semblance,
En nous tant seulement lairra ta souvenance,