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Damon, un peu plus loin, sans pitié combatant,
Du sang de ses haineux et du sien degouttant,
Ardant et furieux comme un Mars redoutable,
Reçoit en l’estomach mainte playe honorable,
Et, durant que son cœur est plus grand et plus chaud,
Presque n’en sentant rien, la puissance luy faut.
Son beau corps, dont la force avec le sang se verse,
Debile et chancelant, tresbusche à la renverse,
Et plus que demy-mort reste là pallissant,
Comme un bouton de rose en avril languissant,
Qui perd sa couleur vive, alors que la tempeste
Ou l’outrage du vent luy fait pancher la teste ;
Ou comme un jeune lys, de la pluye aggravé,
Laisse pendre son chef, qui fut si relevé.
Victoire Cadmeane, et trop chere achetée,
D’un ny d’autre party tu n’as esté chantée !
Tout deux en longs soupirs detestent ta rigueur,
Et l’honneur du trophée est cuisant au vainqueur.
Or comme avec le sang cessent l’ire et la guerre,
Damon, qui se revient par le froid de la terre,
Tout à peine se traine où gisoit son amy,
D’un long sommeil ferré durement endormi,
Qui dira la douleur dont son ame est frappée,
Quand il voit que la Parque a sa trame coupée ?
Ayant le cœur vaincu de regret et d’ennuy,
Immobile, long-tans tient l’œil fiché sur luy ;
En fin l’amas pressé du dueil qui continuë,
Ravit toute lumiere à sa dolente veuë,
La couleur à son teint, aux genoux leur effort,
Si que, palle et tout froid, chet à dent sur le mort.
Au retour de l’esprit que la douleur r’appelle,
Il maudit des hauts cieux l’ordonnance cruelle,
Se lasche au desespoir, sanglotant sans cesser,
Et de baiser le corps il ne se peut lasser ;
Puis, comme les sanglots, l’angoisse et la furie
Font passage à sa voix, tout en pleurs il s’escrie :
Ne depars point encore, ô seul jour de mes yeux !
Et parmy tant de rage et d’assauts furieux,
N’abandonne au besoin un que tu faisois vivre
Et que jusqu’à la mort tu n’as pas craint de suivre !
Oy mes propos derniers et mes gemissemens,
Reconforte mon cœur par tes embrassemens.
Nos esprits enlacez d’un celeste cordage,
Si tu m’attens un peu, ne feront qu’un voyage,
Leur vol tout à la fois en la nuict s’estendra,
Et des myrthes ombreux la descente prendra.