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roi les beaux vers jusqu’ici renfermés dans mes tiroirs ; que, si je veux, vous me ferez mander par un seigneur de la cour, lequel, sous le prétexte du bien public, se chargera de m’introduire, parlera de mes faits d’armes, des services de mon père sous les drapeaux. Saisissant l’occasion, vous ajouterez que je suis en outre un habile rimeur.

Car, dites-vous, qui seulement se dit
Estre poëte, il perd tout son crédit,
Estant tenu comme une girouette :
En cour n’est qu’un estre fol ou poëte.
Mais feindre faut qu’on n’y prend point plaisir
Si le public[1] n’en donne le loisir.

« Vous ajoutez, poursuit Vauquelin de la Fresnaie, que je connais nombre de seigneurs, qui tous me viendront en aide, me feront nager dans le bien-être et obtenir des commissions ; n’y en eût-il pas à distribuer, on en inventerait. Il faut avoir perdu le sens pour blâmer ce système commode usité au delà des Alpes. Ne voit-on pas tous les jours des notables de Paris puiser à ces sources abondantes de richesse ? Les uns vendent les biens communaux et les landes ; les autres afferment des bois, trafiquent sur la coupe des forêts, sur les entrées, sur les impôts. « Cela remplit les bourses vides, » et, comme je suis en province, que je pourrai diriger les opérations, mes coffres se rempliront d’autant plus vite. Vous terminez par ces remarques :

Qu’il vaut bien mieux estre marteau qu’enclume,
Quand à mal faire un chacun s’accoutume,
Et que combien qu’exerçant mon estat,
Je puisse encor toucher quelque ducat
Avec honneur, pourtant c’est peu de chose
Au prix du bien qu’en la cour on propose,
Et qu’en peschant dedans une grande eau,
On prendra plus qu’en un petit ruisseau. »

À cette morale du succès, du lucre et de la jouissance, Vauquelin lui opposait la modestie de ses désirs. Sa place lui fournissait abondamment de quoi vivre, lui assurait l’estime du monde : il aimait d’ailleurs la nature, il craignait les intrigues de la cour. Bref, il aimait mieux se contenter de moins et ne pas aventurer sa barque sur des flots orageux.

Cette épitre importante nous montre qu’il y avait au seizième siècle des hommes d’affaires, comme de nos jours ; qu’on spé-

  1. Les affaires publiques.