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Joint que de Cleophon la memoire eternelle,
Et ce que nous devons à son amour fidelle,
M’arreste et me retient, craignant que le malheur
Ne luy verse d’un coup ces deux flots de douleur.
Ne me vueilles donc suivre, ô doux feu de ma vie !
Par ce genereux prince, en pleurant je t’en prie.
Reste pour le servir, sans de luy t’estranger ;
Accorde mes desirs, je ne crains nul danger.
Au nom de Cleophon son ame est fort pressée,
Et se sent presque esmeu de changer de pensée ;
Mais l’ardeur de combatre est trop forte en son cœur
Puis l’objet de Damon reste en fin le vainqueur.
Je te suivray, dit-il, rien ne m’en peut distraire.
C’est s’opposer au ciel que d’aller au contraire ;
Nos destins, amassez dans un mesme fuseau,
Doivent estre tranchez d’un seul coup de ciseau ;
Ne m’offence donc plus par ta vaine rudesse,
Puis qu’helas ! sans te voir je mourroy de tristesse.
Durant tous ces discours qu’Amour leur inspiroit,
La mere du Sommeil coye se retiroit,
Ramassant sous son aile, en brune couleur tainte,
Les songes, le repos, le silence et la crainte.
L’Aurore aussi soudain commença ses travaux,
Et ne voulut parer son char ny ses chevaux,
Ne couronna son sein ny ses tresses de roses,
Mais d’un manteau de dueil ses beautez furent closes.
Courriere du soleil, tu devois de tout point,
Devers nostre horizon ce jour n’arriver point,
Afin que ta lumiere, aux mortels si plaisante,
A tant d’actes piteux ne se trouvast presante.
Helas ! tu n’eusses veu sur le champ renversé,
Lycidas, ô regret ! d’outre en outre percé ;
Tu n’eusses veu les doigts de la Parque cruelle,
Couvrant hastivement sa mourante prunelle,
D’un seul coup la jeunesse et l’amour surmonter,
Et l’ame à grand regret son bel hoste quitter.
Tu n’eusses veu l’honneur de sa tresse, dorée
De la blonde couleur du poil de Cytherée,
Où le plus bel esprit se trouvoit attaché,
Meslé confusément, tout ronge et tout taché.
Tel sembloit Adonis, quand la force inhumaine
Du sanglier l’eut couché tout sanglant par la plaine,
Mais il eut pour le moins ce confort en mourant
D’avoir finy ses jours son amy secourant,
Et de voir par sa main, valeureuse et guerriere,
Son meurtrier estendu sur la rouge poussiere.