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Damon et Lycidas, deux astres de ce tans,
Deux Achilles nouveaux, deux aimables Printans,
Qui semoient comme fleurs les amours par la terre,
Et blessoient tous les cœurs par une douce guerre,
S’aimoient uniquement. Ce n’estoit qu’un vouloir :
En eux un seul esprit deux corps faisoit mouvoir.
Jamais l’œil de Phœbus ne veit telle jeunesse ;
C’estoit toute vertu, douceur, grace et prouesse.
Desjà leur clair renom flamboit en divers lieux,
Mars logeoit en leur ame et l’amour en leurs yeux.
Cleophon, qui partout fait reluire sa gloire,
Grand prince et grand guerrier d’immortelle memoire,
Dont le clair jugement jamais ne se deçoit,
De ces deux entre tous la valeur cherissoit.
Eux, qui de ses vertus ont l’ame toute pleine,
N’adorent rien que luy ; c’est leur joye et leur peine,
Et n’ont plus grand plaisir que de luy faire voir
Ce que peut en leurs cœurs l’honneur et le devoir.
Advient qu’un soir tout seul Damon se delibere,
Ondoyant des grands flots d’une jeune colere,
Pour appaiser son cœur bouillant et genereux,
De tenter le peril d’un combat rigoureux.
Lycidas, qui l’entend, de courroux se transporte,
Et, plein d’un beau despit, l’accuse en cette sorte :
Tu me veux donc fuir, ô mon plus cher soucy !
Donc ma ferme amitié se voit payer ainsi,
Qu’en l’essay perilleux d’une belle entreprise,
Comme peu valeureux, ta vertu me mesprise ?
A qui plus desormais pourray-je avoir de foy,
Si ce qui m’est plus cher se separe de moy ?
Non, il n’en sera rien ; l’amour qui nous assemble
Veut qu’au bien et au mal nous ayons part ensemble.
Face le sort cruel ce que faire il pourra,
Lycidas, ô Damon ! jamais ne te lairra.
Je te suivray partout, mon ame ardante et pronte
De ce fragile corps sçait bien ne faire conte.
Damon repond ces mots : O mon plus doux penser,
Ainsi victorieux te puisse-je embrasser,
Sans qu’aucun accident nostre amour diminuë !
Comme assez clairement ta valeur m’est connuë,
Ce n’est pour cet égard que je t’avoy laissé :
Mais si l’aveugle sort, ou le ciel courroucé,
Rendent là de mes jours la carriere achevée,
Je vouloy que mon ame en toy fust conservée.
Car, bien que le destin me fasse aller devant,
Je ne croiray mourir si tu restes vivant ;