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Leurs soupirs, leurs regards, leurs doux ravissemens,
Et ces petits refus suivis d’embrassemens,
Ces propos enflammez, ces agreables plaintes,
Ces desirables morts et ces coleres faintes.
Tu les peux bien conter, car tu y fus tousjours,
Ayant avecque toy mille petits Amours,
Les uns forgeans des traits, les autres de leurs ailes
Esventant doucement leurs flammes immortelles ;
Les autres, voletans, tout autour s’amassoient,
Et les autres de fleurs ton carquois remplissoient,
Dont couvrois ces amans comme d’un grand nuage,
Puis voloient dans leurs yeux et baisoient leur visage,
Chacun à qui mieux mieux se monstrant desireux
De les rendre en ce lieu contans et bien-heureux.
Helas ! pourquoy si tost finit cette journée ?
Pourquoy n’eust-elle au moins la longueur d’une année ?
Certes le clair Phebus, cessant de luire aux cieux,
Monstra bien qu’il estoit sur leur aise envieux,
Et fist haster la nuit plus tost que de coustume,
Remplissant leurs esprits d’angoisseuse amertume,
Et leur faisant connoistre, à ce dur partement,
Combien l’heur des mortels s’enfuit legerement.


ADVANTURE SECONDE


CLEOPHON


Rigoureux point d’honneur, qui de si chaudes flames
Poursuis les jeunes cœurs et les plus belles ames,
Qui romps leur plus doux somme, et leur fais mespriser
L’aise et l’heur de la vie afin de s’exposer,
Et, sous l’espoir d’un bruit d’honorable durée,
Volontaires, courir à la mort asseurée,
Des malheurs que Pandore en la terre sema,
Quand contre Promethé Jupiter s’anima
Et rendit nostre race en vivant miserable,
Tu es le plus cruel et le plus dommageable !
Il falloit aux mortels des corps de diamant,
Pour contre tes efforts resister seurement,
Sans en si foible lieu loger tant de courage,
Et voir perdre en un rien le plus celeste ouvrage.
Mais, las ! si ta rigueur rendit oncques desfaits
De nature et du ciel deux chefs-d’œuvre parfaits,
Ces vers le feront voir, qu’entre cent mille allarmes
D’ennuis et de sanglots, j’ay tracez de mes larmes.