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Il estoit nuict fermée, et les hommes lassez
Reposoient sans soucy d’un fort sommeil pressez ;
Oiseaux, bestes, poissons, sous l’horreur solitaire,
Recevoient la faveur du repos ordinaire ;
Les vens comme endormis leurs soupirs retenoient,
Et les feuilles des bois sans branler se tenoient.
Bref, tout se reposoit. Olympe, au cœur blessée,
Est seule qui ne sent repos en sa pensée.
Les beautez d’Eurylas luy sont devant les yeux.
Ses vertus, sa grandeur, ses faits victorieux,
Et ses plaisans regards, qui mille amours recellent.
De l’un de ses pensers cent autres renouvellent,
Qui reblessent son ame, et ce doux souvenir
Fait sa nouvelle ardeur plus forte devenir.
Or’ il luy prend vouloir de chasser toute crainte,
Pour découvrir le mal dont son ame est attainte,
Et or’ elle a desir de se laisser brûler,
Sans que l’on puisse voir sa flamme estinceler !
Ardant amour la pousse, et la peur la retire :
L’un luy donne plaisir et l’autre la martire ;
Et de tant de pensers son cœur est agité,
Qu’elle flotte incertaine en cette extremité,
Ores de cette part, or’ de l’autre poussée,
Comme une foible nef par les vagues forcée,
Ou comme un vieux sapin combatu rudement
Par deux vens ennemis, soufflans diversement.
Encor en ses assauts ce qui plus l’importune,
C’est qu’elle n’a pouvoir de plaindre sa fortune.
Le faix de ses ennuis luy seroit plus leger,
S’elle osoit d’un soupir sa poitrine alleger ;
Mais elle sent, helas ! son jaloux aupres d’elle
(Indigne de toucher une chose si belle)
Qui la fait contenir sans mouvoir ny gemir,
Car elle a tousjours peur qu’il feigne de dormir.
Ainsi durant l’effort de tant de durs allarmes,
Retenant ses soupirs, son recours est aux larmes.
Tant que la nuit dura de pleurer n’a cessé,
En fin le foible esprit du travail oppressé,
Peu à peu defaillit, et, vaincu, donna place
Au sommeil gracieux, qui les ennuis efface.
Desjà le point du jour peu à peu s’avançoit,
Et la femme à Tithon son chemin commençoit,
Chassant du firmament la grand’ troupe estoilée,
Quand Olympe en dormant fut toute consolée
Par un songe amoureux que Venus luy fist voir,
Messager du plaisir qu’elle devoit avoir.