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Puis je m’en veux servir pour une autre entreprise.
Olympe ainsi que luy ma puissance mesprise ;
Qu’ils se blessent l’un l’autre et, sans sçavoir comment,
Leurs deux cœurs soient navrez par un trait seulement.
Amour de tes propos les effets s’ensuivirent,
Car, dès le jour suivant que ces amans se veirent,
Frappez du pront esclair qui sort de leurs beautez,
Ils demeurent surpris, esperdus, transportez.
Lors comme un qui choisit lieu propre à sa vengeance,
Tu sors de ton embusche et, d’extrême puissance,
Delaschant un trait d’or, qui bruit au décocher,
Tu traverses deux cœurs aussi durs qu’un rocher.
Chacun sent aussi-tost cette blessure estrange.
Ils font sans y penser de leurs cœurs un eschange :
Ce n’est qu’un vouloir mesme, et leurs regars legers
Des nouvelles amours sont piteux messagers.
Chacun d’eux est surpris de crainte et de merveille ;
Leur teint ores est pasle, or’ de couleur vermeille,
Ils sentent un plaisir tout meslé de rigueur,
Et de secrets soupirs ils esvantent leur cœur.
Mais Olympe, à la fin quelque peu revenuë,
Craint d’avoir trop rendu cette amitié connuë
(Grande estoit l’assemblée), et croit asseurément
Que chacun s’apperçoit de ce pront changement ;
Se reprend de sa faute et tasche à se contraindre.
Mais son ardant desir est trop grand pour le faindre.
Desjà son nouveau mal paroist dessus son front,
Puis ses brûlans soupirs et son penser profond,
Ses yeux mal asseurez, son inconstant langage,
Monstrent les passions qui troublent son courage ;
Et plus elle met peine à cacher sa douleur,
Plus la fievre d’amour renforce sa chaleur.
Quel moyen ? quel conseil ? Pauvre, que fera-t-elle
Pour ne découvrir point sa blessure mortelle,
Mesme aux yeux d’un mary jaloux et deffiant,
Qui va, nouvel Argus, de cent yeux l’épiant,
Cadenasse sa chambre et l’y tient enfermée,
La presche incessamment de bonne renommée,
Contrôle ses regards, ses habits, ses propos,
Et ne laisse jamais son esprit en repos,
Troublé des flots mutins d’une aspre jalousie,
Dont son ame égarée est tellement saisie,
Qu’il cherche les devins, aux sorciers a recours ?
Tous les dieux infernaux il appelle au secours,
Pour luy garder sa femme, et n’a pas connoissance
Que les enchantemens contre Amour n’ont puissance.