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Desjà le haut renom et les faits glorieux
Du vaillant Eurylas s’espandoient en tous lieux,
Qui, n’attaignant encore à la vingtieme année,
D’une ame ardante et vive, à la gloire adonnée,
Avoit victorieux en cent lieux combatu,
Soustenu mille assauts d’un cœur non abatu,
Et par ses faits guerriers, suivis de mille paines,
Effacé le renom des plus grands capitaines.
Il sembloit à le voir d’un fleury renouveau ;
Il eut la taille belle et le visage beau,
Son teint estoit de lys et de roses pourprettes,
Et ses yeux rigoureux dardoient mille sagettes.
On le prend pour Amour, et d’Amour toutefois,
Pour suivre le dieu Mars, il mesprise les loix.
Mainte dame en son cœur ardamment le desire,
Perd son premier repos, apres ses yeux soupire,
L’adore comme un dieu, revere sa grandeur,
Et se sent devorer d’une secrette ardeur ;
Mais elle sent, helas ! que vaine est son attente,
Car il n’esprouve point le mal qui la tourmente,
Ains fuit libre d’amour, d’un cœur leger et pront,
Plus soudain qu’un torrent ne s’escoule d’un mont.
O grand vainqueur des dieux, qui me tiens prisonniere
(Disoit tout bas quelqu’une) entens à ma priere !
Que fais-tu de ton arc ? est-il en vain tendu ?
Si tu retardes plus, ton empire est perdu.
Vois-tu pas ce hautain qui mesprise ta gloire,
Remportant de nos cœurs une pauvre victoire ?
S’en ira-t-il ainsi ? nous veux-tu point vanger ?
Sauve au moins ta couronne au fort de ce danger,
Et des plus poignans traits, dont les dieux tu surmonte,
Traverse un jeune cœur qui de toy ne fait conte.
Amour qui ces propos, tout colere, entendit,
Soudain pour y pourvoir du tiers-ciel descendit :
Quoy ! ne suis-je plus dieu ? ma flamme est-elle estainte ?
Mon carquois, disoit-il, ne fait donc plus de crainte ?
Ose quelqu’un encor mes forces despiter,
Apres que j’ay vaincu le tonant Jupiter ?
Mars tremble sous ma loy, prisonnier de ma mere,
Et un jeune guerrier est bien si temeraire,
Pour je ne sçay quels faits dont il est renommé,
De tenir contre moy, qui l’avoy tant aimé.
Si je le pren… mais non, sa jeunesse peu caute
Veut que, sans me vanger, j’excuse cette faute.
Je veux pour cette fois doucement le punir,
Mon empire se doit par douceur maintenir,