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Car contre ses beautez ne se trouve deffance,
Et chacun qui la voit luy porte obeïssance.
Combien de durs regrets estoient lors entandus,
Combien de chauds soupirs et de pleurs espandus
Par ces nouveaux blessez, pour flechir son courage !
Tandis qu’elle se rit de les voir en servage,
Franche et libre d’amour, qui ne pouvoit penser
Que cette liberté la deust jamais laisser.
La jeune Fleurdelys, chere part de son ame,
Plus sçavante aux effets de l’amoureuse flame,
De sa folle rigueur souvent la reprenoit,
Et pour la convertir ces propos luy tenoit :
Que faites-vous, mon cœur ? quelle erreur vous transporte
De fermer aux amours de vos pensers la porte ?
Quel plaisir avez-vous, vivant tousjours ainsi ?
Amour rend de nos jours le malheur adoucy ;
Il nous eleve au ciel, il chasse nos tristesses,
Et au lieu de servir nous fait estre maistresses.
L’air, la terre et les eaux reverent son pouvoir,
Il fait comme il luy plaist les estoilles mouvoir ;
Tout le reconnoist dieu. Que pensez-vous donc faire,
D’irriter contre vous un si fort adversaire ?
Par luy vostre jeunesse en honneur fleurira ;
Sans luy cette beauté rien ne vous servira,
Non plus que le thresor qu’un usurier enserre,
Ou qu’un beau diamant caché dessous la terre.
On ne doit sans amour une dame estimer,
Car nous naissons icy seulement pour aimer.
Mais qu’est-il rien plus doux que de se voir servie
D’un qui nous prise plus que ses yeux, ny sa vie ?
Entendre ses pensers, luy dire nos desirs,
Partir egalement le dueil et les plaisirs,
Les courroux gracieux, l’esperance et la crainte,
Lire sa passion sur son visage painte,
Le voir perdre en soy-mesme, en nous se retrouver,
Et les douceurs du ciel en la terre esprouver,
Sans tromper folement nostre belle jeunesse,
Qui las ! sans y penser comme un songe nous laisse.
De semblables propos mille fois recitez,
Mais par les vents legers sans effet emportez,
Fleurdelys s’efforçoit d’adoucir la cruelle,
Fondant le dur glaçon qui sa poitrine gelle ;
Mais c’est battre le vent et sur l’onde semer.
Ce cœur encor trop verd ne se peut enflamer.
Il faut qu’un jeune amant en fasse la vengeance,
Et qu’en la surmontant il perde sa puissance.