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Ce fut alors surtout qu’il mena cette grande existence, admirée comme un prodige par les auteurs contemporains et à laquelle il les associait généreusement. Sa table, richement servie, leur était toujours ouverte ; ils puisaient dans sa bourse, les pauvres déshérités, qui n’avaient pas su, comme lui, remplir leur escarcelle. Il faisait aussi libéralement les honneurs de sa vaste bibliothèque. « Nul ne surpassait la délicatesse, l’opulence de ses festins, nous dit Scévole de Sainte-Marthe ; nul ne prit plus de soins, ne fit plus de dépenses pour réunir une collection de livres ; nul n’étala une plus grande somptuosité dans le train de sa maison[1]. » Admirable causeur, il animait, il égayait l’entretien. Il semble d’ailleurs avoir détesté les bavards prodigues de mots et vides de pensées. Le maréchal de Retz, qui passait pour un grand politique, lui déplaisait par son insignifiante conversation ; il lui reprochait de parler beaucoup sans rien dire[2].

Obligeant et affecteux, Desportes se servit de son influence pour améliorer le sort des écrivains ; il leur faisait obtenir des places lucratives, des bénéfices, des pensions, des avantages de toute nature. Vauquelin de la Fresnaie lui dut l’intendance des côtes de la mer, qui lui fut octroyée par le duc de Joyeuse, nommé grand amiral de France[3]. Non content de lui avoir ainsi procuré une belle position, il voulut pousser plus loin sa fortune et lui écrivit dans ce but une lettre curieuse, dont son obligé lui-même nous offre l’analyse. Une satire de son livre Ier n’est en effet qu’une réponse à la missive et aux propositions de l’adroit négociateur, que précède un résumé de son billet.


Desportes, dont la discrète prudence
Des plus prudents la prudence devance.


« vous me dites que je devrais trouver moyen de présenter au

  1. Nullus enim eum vel hospitalis mensæ liberalibus epulis, vel instaurandæ bibliothecæ sumptu et studio, vel omni denique civilis vitæ splendore superavit. (Éloges des hommes illustres, l. V.)
  2. Voyez les notes de Lenglet Dufresnoy sur le pamphlet intitulé : Bibliothèque de madame de Montpensier (1587). Les dîners de Desportes sont chaleureusement écrits par Jacques de Montereul, dans le Tombeau, que nous reproduisons à la fin du volume.
  3. La Fresnaie explique tout au long dans ses œuvres (dernière satire du livre Ier) ce service que lui a rendu notre poëte :

                                 Sa faveur vint de la bienveillance
    Que Desportes portoit aux bons dès sa naissance,
    J’aimerois beaucoup mieux pouvoir m’en revancher
    Par quelques bons effets, que ses vertus prescher.