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De chacun de mes yeux un ruisseau va coulant,
D’horreur, de feux, de mort, sans plus je vay parlant ;
Ma ligne et mes filets demeurent sans rien faire,
Et, pour tout exercice, or’ rien ne me peut plaire
Que blasphemer du ciel l’injuste mauvaistié.
Le feu s’enfuit d’Amour et suit l’inimitié.
Or puis que de tout point mes attentes sont vaines,
Doy-je pas donner cesse à ma vie et mes paines,
Et du haut de ce roc en la mer m’élancer,
Sans d’éternelles morts nuit et jour trespasser ?
Enhardy-toy, mon cœur ; mais je voy la lumiere
Qui chancelle incertaine et flamboye en arriere ;
Or’ à gauche, or’ à droit elle se va jettant,
Et court puis çà puis là d’un rayon inconstant ;
De la haine à l’amour legere elle est portée,
Et plus en mesme lieu ne demeure arrestée.
J’entens bien maintenant que veut dire cecy,
Ma nymphe en mesme tans m’aime et me hait aussi ;
Son ame est en balance. Ah ! non, c’est un presage
Combien l’amour de femme est soudaine et volage :
On la voit çà et là diversement errer ;
Jamais l’homme advisé ne s’en doit asseurer.
Comme un cameleon, le cœur de ces cruelles
Se change à tous objets, et la plus ferme d’elles
Aimeroit beaucoup mieux, pour son contentement,
Vivre avec un seul œil qu’avec un seul amant.
Mais où me porte, helas ! l’ardeur qui me devore ?
Je mesdy folement d’un sexe que j’adore,
Et ne voy le bon-heur qui me suit à son tour :
Le feu laisse la haine et s’arreste à l’Amour.
La flamme au costé droit s’est du tout retirée ;
Hé Dieu ! revé-je point ? Non, c’est chose asseurée ;
Son rayon tant aimé sur l’amour s’est jetté,
Et ne retourne plus sur le gauche costé.
Mais pourtant ma pauvre ame est tousjours en tourmante ;
Je crains qu’un vent malin renverse mon attante,
Et que le sort cruel vers moy fasse retour :
Le feu laisse la haine et s’arreste à l’Amour.
O feu saint et fatal, si clair en ma pensée !
De grace, hé ! suy tousjours la trace encommencée,
Ne tourne plus ailleurs, et me rens asseuré
D’un bien, qui m’est si cher et si desesperé !
C’est pour vray qu’il demeure, et sa lumiere vive
Se courbe et se respand sur la branche d’olive,
Et sans plus maintenant elle esclaire à l’entour :
Le feu laisse la haine et s’arreste à l’Amour.