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Favorisez mon charme, et faites que je sçache
Ce que ma belle nymphe en sa poitrine cache,
Et que ce feu sacré le découvre à mes yeux.
Luisez, feux de la nuict, luisez parmy les cieux.
Le feu sans vaciller immobile sejourne,
Ny deçà ny delà sa lumiere il ne tourne.
Pauvre, helas ! que je suis ! c’est signe qu’en ton cœur
Tu ne loges encor ny pitié ny rigueur ;
La haine ou l’amitié ton courage ne donte,
Et, pour tout, de mon mal tu ne fais point de conte ;
Tu me vas dedaignant. Destins injurieux,
Estre du tout hay me plairoit beaucoup mieux !
Quoy ! sera donc ainsi ma franchise asservie,
Sans que je sçache, helas ! ny ma mort ny ma vie ?
Demourray-je tousjours languissant et confus,
Sans pouvoir m’asseurer d’accord ny de refus ?
Quel mal plus deplorable, ô sort que j’importune !
De grace, lié ! monstre-moy l’une ou l’autre fortune,
Et s’il faut que j’attende ou douceur ou pitié.
Le feu s’enfuit d’Amour et suit l’inimitié.
Voilà de mon destin la pitense nouvelle !
Ma nymphe n’aime rien, elle est toute cruelle.
Les rochers sont plus doux que son cœur endurcy,
Il n’en faut esperer ny pitié ny mercy.
Mais pourquoy, miserable, ay-je fait tous ces charmes ?
Ne le sçavoy-je pas ? tant de ruisseaux de larmes,
Tant de flots, de soupirs, tant de mal enduré,
Assez auparavant m’en avoient asseuré.
Sourde fille d’un roc, ame fiere et sauvage,
J’estimoy que ma peine eust flechy ton courage,
Mais je voy mes desseins rompus par la moitié ;
Le feu s’enfuit d’Amour et suit l’inimitié.
Malheureux fut le point que j’eu sa connoissance !
De là tant de malheurs en moy prindrent naissance ;
Je mesprisay soudain ce qui m’estoit plus cher,
Et tout ce que j’aimoy ne feit que me fascher.
Mais que suis-je à present ? ou qu’estoy-je avant l’heure
Que le maudit Amour feit en moy sa demeure ?
J’entrois en la jeunesse, et ma belle saison
Commençoit à pousser une blonde toison ;
J’avois la couleur vive, et, tout plein de franchise,
Contant entre les miens, je vivois de ma prise.
Ces eaux incessamment redisoient mes chansons,
Je nageois, je peschois de cent mille façons.
Ores d’un rude poil j’ay la face couverte,
A rien fors qu’aux regrets ma bouche n’est ouverte,