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Tirer du ciel la lune et sa course arrester,
Et qui ait contremont les torrens remonter,
M’apprist une magie aux nochers peu connuë,
Pour trouver sa fortune avant qu’estre advenuë.
J’en veux faire l’essay, car je veux decouvrir
Si l’Amour de ses traits pourra le cœur ouvrir
De ma belle ennemie, et casser cette glace,
Ou si l’inimitié sans plus y trouve place.
Dans ce large vaisseau qui d’eau douce est comblé,
J’ay mis du costé droit maint branchage assemblé
D’olivier et de myrthe ; en la gauche partie
J’ay mis du chesne sec et des feuilles d’ortie.
Le droit pour la douceur, l’amour et la pitié ;
L’autre pour la rudesse et pour l’inimitié.
Je sçauray maintenant si le ciel m’est contraire,
S’il faut sans tant languir que je me desespere,
Ou si mon triste sort se doit changer en mieux.
Luisez, feux de la nuict, luisez parmy les cieux.
Voilà dans le vaisseau comblé d’eau de fontaine,
De claire humeur d’olive une coquille plaine ;
La mesche est au dessus, il la faut allumer,
Si je veux de tout point mes charmes consomer ;
La conque à cet effet icy me fut portée
De l’Indique ocean par le grand Cloanthée.
Cette huile est de la lampe incessamment ardant
Dans le temple à Neptune aux fins de l’Occidant ;
Et ceste mèche neuve a toute esté filée
Des innocentes mains de la vierge Erilée.
Reste à voir si j’auray favorables les dieux.
Luisez, feux de la nuict, luisez parmy les cieux.
Regarde, ô Panopée ! ardant feu de mon ame,
Regarde un peu la mèche et comme elle prend flame !
Helas ! s’il t’en souvient, mon cœur mal advisé
Fut ainsi tout à coup par tes yeux embrasé !
Je sçauray maintenant ma douteuse advanture ;
Car si pour tout jamais tu me dois estre dure,
La flamme au costé gauche aussi-tost s’espandra
Et sur le chesne sec, esclairant, se rendra ;
Mais si ta paix un jour me doit estre donnée,
Sur le myrthe et l’olive on la verra tournée.
Comblant mon triste cœur de rayons gracieux.
Luisez, feux de la nuict, luisez parmy les cieux.
O ciel, ô mer, ô terre, ô deïtez puissantes,
Qui regnez au sejour des ombres pallissantes !
Toy, royne Proserpine, et vous, tristes esprits,
Par qui la nuict resonne en effroyables cris,