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Tout le jour dans sa barque il avoit fait des plaintes
En si piteux accens, que les nymphes contraintes
Avoient de tiedes pleurs ses cris accompagnez,
Et les fleuves s’estoient de leur course esloignez.
Or ainsi que la nuit tendit ses larges voiles ;
Et qu’on veit dans le ciel les premieres estoiles
Monstrer leur belle veuë et de rang se lever,
Luy, qui sent tout de mesme en son cœur arriver
Mille nouveaux soucis, pour prendre leur pasture,
Les pieds et les bras nuds, nud teste et sans ceinture,
Poussa du cœur, ces mots dressant bien haut les yeux :
Naissez, feux de la nuict, naissez parmy les cieux.
O toy, sœur de Phebus ! ô royne vagabonde !
Puissante au ciel, en terre et sous la nuict profonde,
Qui faits à points regles la marine escumer,
Et produis haut et bas tout ce qui peut charmer,
Preste-moy ta lumiere et sois ma secretaire,
Or’ que sous la nuict sombre, en ce lieu solitaire,
J’invoque à mon secours la justice des dieux.
Naissez, feux de la nuict, naissez parmy les cieux.
Amour, cruel enfant d’une mere cruelle,
Venus, fille des flots, et comme eux infidelle,
Qui des plus humbles cœurs vas sans plus triomphant,
Que vous estes cruels, et la mere et l’enfant !
Tous ces rochers voisins ont une ame plus tendre.
Pensez le bel honneur ! les cruels ont sceu prendre
Un captif miserable à leurs pieds estendu,
Qui pour mieux les flechir ne s’est point deffendu.
Et laissent cependant l’ingrate Panopée,
Sans soin, sans amitié, de mes larmes trempée,
Qui mesprise leur force et mon mal soucieux.
Naissez, feux de la nuict, naissez parmy les cieux.
Tous les feux de la nuit au ciel ont pris naissance,
Il est tans que, devot, mes charmes je commance ;
Voilà l’autel tout prest de gazons façonné ;
D’algue et d’absinthe blanc il est environné.
Par neuf fois dans la mer j’ay ma teste plongée,
J’ay sur l’autel sacré la verveine arrangée,
L’encens est allumé. Toy qui te vas changeant
En fleuve, en flamme, en roche, en serpent s’allongeant,
Je t’invoque, ô Proté ! cet autel je te dresse.
Sors du fond de ces eaux, viens guarir ma tristesse,
Et rechange mes sens qu’Amour rend furieux.
Luisez, feux de la nuict, luisez parmy les cieux.
Meris, le vieux sorcier tant craint en ces rivages,
Qui peut en tans serein couvrir la mer d’orages,