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Et pour voir des beautez l’exemplaire et l’idée,
En ce lieu des Amours et des Graces guidée.
Puisse-je encor un coup si grand heur recevoir,
Et jamais plus n’ouyr, ne parler ny ne voir !
J’accroissoy de ces plaints le regret qui me tuë,
Quand du tout le chasteau se desrobe à ma veuë.
Ce fut lors qu’à plein bras la douleur m’assaillit !
Un tremblement me prit, le genouil me faillit
Et la mort si souvent à mon aide implorée,
Vint s’apparoistre à moy, have et desfigurée ;
Je la vey, c’estoit elle, et je la reconnu,
Telle elle est aux mortels quand leur jour est venu :
A cet horrible aspect mon ame espouvantée
Quitta son corps perclus, la voix me fut ostée,
Mon visage et mes yeux ternirent leur couleur,
Et tombay comme un tronc sans force et sans chaleur.
Ce qui m’advint depuis est aux autres notoire,
Car du bien et du mal je perdy la memoire ;
Je ne sçauroy parler du secours des rameurs,
De l’eau qu’on me jetta, de l’effroy, des clameurs ;
Bref, je ne m’apperceu de rien qu’on me sceut faire,
Tant que je fusse mis dans ce lieu solitaire,
Où mes sens defaillis ayant repris vigueur,
J’en despite le ciel et maudy sa rigueur,
Sçachant que rien n’est propre à mes maux incurables,
Que la mort, seul recours des amans miserables.


LA PYROMANCE


L’amoureux Dorylas ayant l’ame frappée,
Depuis maintes saisons, des yeux de Panopée,
La fiere nereïde, en pleurs se consumoit,
Et sans fruit ses regrets par les ondes semoit ;
Ny ses longues douleurs, ni son amour fidelle,
Ny ses yeux ruisselans d’une source éternelle,
Ny le feu trop couvert qui le fait dessecher,
Avoient peu de sa nymphe entamer le rocher.
Un soir du mois de juin, que la flamme etherée
S’estoit pour luire ailleurs de nos yeux retirée,
Que l’air estoit serain, la mer se reposoit,
Et que le doux Zephyre endormy s’appaisoit,
Ce pescheur miserable, au plus fort du silence,
Quand chacun est en paix, sent moins de patience.
Amour, cruel pirate, incessamment le poind,
Et sur mer ny sur terre il ne repose point.