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Je ne te celoy rien ny dessein ny penser
Suis-je pas malheureux qu’il me faut te laisser ?
A qui plus desormais conteroy-je mes paines ?
Quels antres, quels rochers, quels bois, quelles fontaines
Des lieux plus egarez, où perdu, je m’en vois,
Fidelles, garderont les soupirs de ma voix ?
Mais, ô cher monument de mon mal deplorable !
Tu ne suffisois pas ; je suis si miserable,
Et le ciel fait sur moy tant d’orages pleuvoir,
Qu’en ton sein tous mes maux lieu ne pouvoient avoir ;
Il faut qu’en mille endroits leur desbord se respande,
Qu’il n’y ait coin du monde où mon cry ne s’entande,
Val, mont, plaine, caverne, oyseaux, bestes, poissons,
Qui ne plaignent ma perte en diverses façons.
Tu ne me verras plus, sous l’aimable silance
Des solitaires nuicts, me mettre à la cadance
Du troupeau d’Eleuthere et, soigneux de leurs pas,
Perdre en ces vains plaisirs le somme et le repas.
Ma fortune a de moy leur faveur estrangée,
Ma source d’Hippocrene en Cocythe est changée,
Mon myrthe et mes lauriers cyprez sont devenus,
Les destours d’Helicon ne me sont plus connus,
Apollon me desplaist, tous ses dons je refuse ;
Estant laissé d’Amour, peu me chaud de la Muse !
Et rien d’elle à present ne me peut contenter,
Que les vers qui sçauroient mes obseques chanter.
Or comme en ces discours mon esprit se distille,
Le jour trop clair me force à sortir de la ville,
Pour me rendre au bateau qui devoit m’enlever,
Et de l’ame et du cœur sans pitié me priver.
Aussi-tost les rameurs trop pronts à mon dommage,
Fendans l’eau d’avirons, m’esloignent du rivage,
Où fiché je regarde, et mes yeux obstinez,
Sans ciller, vers le Louvre estoient tousjours tournez.
Pour le voir plus long-tans sur les pieds je me dresse,
Maudissant des vogueurs l’importune vitesse,
Et me reputant lasche et de cœur desnué,
Que plustost que partir je ne m’estoy tué,
Et, victime propice au feu qui me devore,
Sanglant je n’estoy cheu près l’autel que j’adore.
Bien-heureux, ce disoy-je, à qui les cieux amis
D’une ville si belle ont le sejour permis,
Non pour les bastimens dont elle est si hautaine.
Non pour y voir la cour, le palais ou la Seine,
Ny de tant d’habitans le reflus nompareil,
Mais pour estre esclairez des yeux de mon soleil,