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De mille autres pensers une troupe infinie,
Et tous les jours passez les plus noirs de ma vie,
Comme oiseaux de la nuict devant moy revoloient,
Qui mon present malheur tant soit peu n’egaloient ;
Soit qu’il me ressouvinst de ces tans miserables
Que l’aspre jalousie, aux regards effroyables,
De soupçons traversans mon esprit entamoit,
Et du verre et des cloux dans mes playes semoit ;
Soit quand les fiers courroux de ma belle inhumaine
Presageoient quelque orage au doux fruit de ma paine;
Soit quand maint faux rapport, qui son œil m’eclipsoit,
D’un hyver dangereux mon espoir menaçoit.
Bref, toutes les douleurs en aimant supportées,
Une à une en mon cœur estans represantées,
Luy faisoient confesser, plus vivement attaint,
Que d’Amour autresfois à tort il s’estoit plaint.
O tans ! qui du haut ciel la vitesse mesures,
Las ! retourne, disoy-je, à mesurer les heures,
Et les points de ma vie ; et si le ciel tousjours,
Eternel en travaux, refait de mesmes tours,
Recourant de rechef par la mesme carriere,
Fay voir à mes amours leur fortune premiere ;
Fay que la mesme source et les mesmes douleurs
Me fournissent encor de sanglots et de pleurs.
Las ! tu reviendras bien, et la suite ordinaire
Du grand ciel te fera ton voyage refaire,
Voyage qui finist et renaist tout d’un point ;
Mais mon age passé ne retournera point.
De mes jours amoureux la course est achevée,
Au chemin de la mort ma vie est arrivée,
Entre les desespoirs, l’horreur, le repentir ;
Heureux, si par ma fin j’en puis bien-tost sortir !
De mille autres regrets j’eusse plaint ma fortune,
Mais le tans me pressoit, et la tourbe importune
Des bateliers crians m’empeschoit le loisir
D’honorer de mes pleurs ce mortel desplaisir.
Je sors donc de ma chambre, hasté de cette escorte,
Et d’un pié desfaillant je passe outre la porte ;
Puis en m’y retournant tout palle et tout transi,
Pour le dernier adieu je luy disois ainsi :
Chambre à mon dueil secret autresfois si propice,
De mes jeunes desirs la fidelle nourrice,
Ma chere secretaire, à qui je n’ay caché
Trait de joye ou d’ennuy qui m’ait jamais touché,
Je me plaignois à toy des rigueurs de ma dame,
Je te monstrois à nu les playes de mon ame,