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Et qu’il falloit partir, sans jamais revenir,
Du lieu qui tout entier m’avoit sceu retenir ;
Je taschoy d’appaiser mes fureurs insensées.
En leur ramentevant les fortunes passées,
Tant de cris, tant de pleurs, tant de maux endurez ;
Et que les cieux peut-estre, en mes vœux implorez,
Ordonnoient cet exil d’un advis pitoyable,
Pour guarir mon ulcere autrement incurable.
Mais, ô foible remede ! ô dolent reconfort !
Jamais un moindre mal n’est vainqueur d’un plus fort.
Toutes les passions et les peines senties
Sembloient roses et lys aupres de ces orties ;
Et de mes jours passez les plus desesperez
Estoient à chauds soupirs de mon cœur desirez.
Je les contoy sans cesse, et ma triste memoire,
Des maux plus signalez me retraçant l’histoire,
Faisoit que mon esprit à quelqu’un s’arrestoit,
Pour le parangonner au deuil qui m’emportoit,
Et disoy tout en pleurs : O momens souhaitables !
Qu’autres-fois mes ardeurs trouvoient insupportables,
Quand celle à qui je suis malgré sa volonté,
Me cachoit ce bel œil dont le jour est donté.
Que ne revenez-vous ? Je prendroy patience
D’endurer, non un jour, mais un mois son absence.
Pourveu qu’on me permist de languir seulement
Près du lieu qui retient tout mon contentement,
Et d’avoir cette grace au regret qui m’entame
De voir au moins de loin le sejour de mon ame.
Mais mon destin l’empesche, et ne veut endurer
Que l’ombre d’un plaisir puisse en moy demeurer.
Que vous fustes cruels, parens de ma maistresse,
De ne me tuer pas, quand la langue traistresse
Des jaloux contre moy vostre sang allumoit,
Et de meschans propos nos amours diffamoit !
Ah ! que je me repens qu’en la nuit solitaire,
Dans un lieu destourné, propre à vostre colere,
Ne me sois d’un grand cœur à la mort avancé,
Irritant, dédaigneux, vostre esprit offancé !
Aussi-tost, j’en suis seur, respect, crainte ou menace
N’eust empesché ma dame à courir sur la place,
Mesler de pleurs mon sang, mes paupieres serrer,
Voire avecques mon corps son esprit enterrer ;
Où, las ! sous un autre air la mort me venant prendre,
Un soupir seulement je n’en dois pas attendre.
Aussi je n’en suis digne, ayant si tard vescu
Que par un sot devoir mon amour soit vaincu.