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Quand ma foy me devoit faire mieux esperer,
Je voy vostre faveur de moy se retirer,
Qu’ay-je dit ? qu’ay-je fait pour soufrir tant d’outrage ?
Quel nouveau changement regne en vostre courage ?
Si pour me decevoir vous m’aimiez seulemant,
Ce n’est pas grand honneur d’abuser un amant
Qui ne croyoit qu’en vous ; vous estiez ma fiance,
J’estimoy pour vous seule avoir pris ma naissance,
Vous me faisiez parler, respirer et mouvoir ;
N’est-ce donc vous tromper que de me decevoir ?
Ah ! que de desespoirs tyrannisent ma vie !
Malheureux est celuy qui aux femmes se fie !
Pour s’en estre asseuré, mon cœur infortuné
Se voit pour tout jamais à souffrir condamné,
Et ne puis par raison, par tans, ny par absence,
De son mal furieux douter la violence.
Le souvenir me tuë, et le plaisir passé
Rend de regrets trenchans mon esprit traversé ;
De ma si longue amour voilà tout le salaire.
Las ! pour dernier remede, ô beauté trop legere !
A qui contre mon gré mon vouloir est lié,
Apprenez-moy comment vous m’avez oublié ;
Et comme une amour telle, avec l’age augmentée,
A peu si prontement du cœur vous estre ostée.
Au lieu d’accuser plus vostre esprit inconstant,
Je vous pardonne tout si j’en puis faire autant ;
Car je me tiens payé d’assez grand’ recompance,
Si de vous pour jamais je pers la souvenance.


ELEGIE V


Le jour, non jour pour moy, mais nuict tres-malheureuse,
Que du ciel despite la loy trop rigoureuse
Me força de resoudre à quitter, furieux,
Pour jamais Cleonice, ainçois mes propres yeux,
Et que l’amour d’un prince, à mon dam trop extrême,
Me fist fendre en deux parts et m’oster à moy-même,
Quels tragiques regrets, quels tourmens, quelles morts,
Egalerent jamais ce que j’enduray lors ?
Au seul ressouvenir tout le corps me frissonne ;
Une horreur me saisit, ma memoire s’estonne,
Mes esprits sont glacez, mon œil est obscurci,
Et sans pouls ny couleur je suis comme transi.
Estant donc arresté qu’une absence éternelle
Seroit le seul loyer de mon amour fidelle,