pour un sonnet[1]. Ce fut sans doute à l’époque de son mariage, où Ronsard et Baïf, ayant composé des vers destinés aux mascarades, jeux et tournois de la fête, comme Desportes lui-même, reçurent chacun du roi deux mille écus, outre les costumes splendides que leur avait offerts le jeune seigneur. L’abbaye pour un sonnet devait être celle d’Aurillac, échangée plus tard contre celle des Vaux de Cernay. En 1582, le souverain y ajouta l’abbaye de Tiron, au diocèse de Chartres, qui rapportait neuf ou dix mille livres de revenu. L’année suivante, Desportes obtint un canonicat de l’église de Chartres ; mais, comme ce bénéfice l’obligeait à la résidence, il aima mieux l’abandonner. On le nomma, en compensation, chanoine de la Sainte-Chapelle. Le 13 février 1589, le prince lui octroya encore l’abbaye de Josaphat, au diocèse de Chartres. Mais le cadeau le plus important de Henri III, ce fut l’abbaye de Bonport, située sur la rive gauche de la Seine, dans la haute Normandie, à trois lieues de Rouen. Cette maison rapportait au dix-huitième siècle vingt mille livres de rente.
Notre poëte reçut-il les ordres ? Cela me paraît douteux. Les statuts du concile de Trente exigeaient, à la vérité, que tout laïque pourvu d’une abbaye en commende se fît adjoindre au corps ecclésiastique dans l’année de ses provisions, s’il ne voulait encourir la déchéance. Le Saint-Siége toutefois dispensait aisément de la prêtrise. Les revenus des monastères allaient ainsi, hors du cloître, servir aux passions les plus mondaines. Les jolies filles recevaient une bonne part des écus provenant de pieuses fondations. Les grasses prébendes de Desportes versaient chaque année dans sa caisse trente mille livres qui, de nos jours, en vaudraient cent mille[2].
- ↑ Après avoir raconté ce fait dans ses Entretiens, Balzac ajoute : « Dans cette même cour où l’on exerçoit de ces libéralités, où l’on faisoit de ces fortunes, plusieurs poëtes étoient morts de faim, sans compter les orateurs et les historiens, dont le destin ne fut pas meilleur. Dans la même cour, Torquato Tasso a eu besoin d’un écu et l’a demandé par aumône à une dame de sa connoissance. Il rapporta en Italie l’habillement qu’il avoit apporté en France, après y avoir fait un an de séjour. Et toutesfois je m’assure qu’il n’y a point de stance de Torquato Tasso qui ne vaille autant, pour le moins, que le sonnet qui valut à Desportes une abbaye. »
- ↑ Nous adoptons le chiffre de Régnier, mais Tallemant des Réaux dit quarante mille. Voyez la satire neuvième de Régnier, vers 102. Du Verdier, dans sa Bibliothèque françoise, nous donne quelques détails relativement aux faveurs qu’obtenait Desportes : « Et n’a-t-il pas eu ces bénéfices par vacance ou mort des abbés ; ains par la résignation qu’ils en ont faite entre les mains de Sa Majesté, qui leur a donné récompense plus grande, afin de le pourvoir selon son désir. »