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Et que j’eusse juré ne me lier qu’en celle
Qui tout ouvertement s’advoûroit infidelle ;
Toutesfois, à ma honte il le faut confesser,
Quelque charme inconnu m’avoit sceu tant forcer,
Et rendu ma raison tellement estrangée,
Que je pensoy pour vous leur nature changée,
Et qu’en vous seulement se fist force à la loy.
Cent et cent fois le jour je disois à part moy,
Voyant luire en vos yeux tant de celestes flammes,
On ne peut sans pecher la mettre au rang des femmes ;
Le ciel doit l’avoir faite unique en loyauté,
Comme elle est sans pareille en grace et en beauté.
Mais quand cette pensée eust eu moins de puissance,
Helas ! eussé-je fait à la fin resistance
A tant de doux attraits, qui l’esprit me voloient,
Et qui tournoient mon ame ainsi comme ils vouloient ?
N’eussé-je creu vos yeux et ces promesses saintes
Que vous tiriez d’un cœur, le vray sejour des faintes,
Joint que, pour achever de me rendre insensé,
L’Amour dés nostre enfance entre nous commencé,
Conservé sans naufrage en mainte grand’ tourmante,
M’asseuroit que vous seule au monde estiez constante ?
Vous mesme en faisiez gloire, unique à bien aimer,
Jurant qu’autre que moy n’eust sceu vous allumer,
Et qu’encore qu’Amour le voulust entreprendre,
Il trouveroit ses feux pour vous n’estre que cendre.
Le mien avoit esté vostre premier flambeau,
Et vous serviroit d’astre en la nuit du tombeau.
Vous en juriez vos yeux, seigneurs de ma victoire,
Beaux yeux qui tant de fois le faux m’ont fait accroire !
Vous juriez vos cheveux crespement blondissans,
Qui, pour me retenir, ont des nœuds si puissans ;
Vous juriez la deesse en vostre ame logée.
Et la foy qui n’estoit qu’à moy seul engagée ;
Vous juriez cet archer qui si droit sçait frapper,
Et mille autres sermens trop forts pour me tromper.
Il n’en falloit point tant ; mon ame peu rusée
D’un seul de vos regards pouvoit estre abusée.
Las ! que le ciel cruel ne permist-il alors
Que l’esprit trop constant s’envolast de mon corps !
Durant que j’estimoy vostre cœur immuable,
Que le trait de la mort m’eust esté favorable !
Pour avoir trop vescu, tout mon heur j’ay perdu ;
Le ciel de mes amours un enfer s’est rendu ;
Mes jours les plus luisans sont changez en tenebres,
Et mes chants de liesse en complaintes funebres.