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M’est-ce pas grand regret, quand sans le rechercher,
Fuyant pour n’en rien voir, on me le fait toucher,
On me le dit par force et, ce qui plus me tuë,
On le crie en la cour, au palais, en la ruë ?
J’en entens le succez dès qu’il est advenu.
Si vous faites un pas, vostre coche est connu,
Vos pages, vos laquais et ces lieux ordinaires,
Qui vous servent de temple aux amoureux mysteres.
Pour n’en connoistre rien, fussé-je aveugle et sourd !
Ou bien, las ! que plustost le commun bruit qui court,
Ne vient-il à moy seul, sans que la renommée,
L’eventant çà et là, vous rende diffamée ?
Si seul je le sçavoy, que je seroy contant !
Le mal qu’on dit de vous ne m’iroit despitant,
Et, lisant de mes yeux vostre faute notoire,
Pour me reconforter je n’en voudroy rien croire.
Je diroy que les sens se peuvent abuser,
Et sentiroy mon cœur d’heure en heure embraser,
Voyant vostre beauté de chacun poursuivie ;
Car j’aime fort un bien dont plusieurs ont envie.
Mais le bruit que de vous le commun va semant
Fait qu’un homme de cœur se hait en vous aimant,
Et dresse à meilleur but le trait de son attente.
Car nostre opinion seule ne nous contente,
Et ce qui rend plus fort un esprit embrasé,
C’est de voir que son choix de chacun est prisé.
Pour Dieu ! prenez-y garde, et devenez discrette ;
Ne soyez pas plus chaste, ains soyez plus secrette,
Faites les mesmes tours et plus, si vous pouvez,
Joignez d’autres amans à ceux que vous avez,
Et donnez, non ingrate, à tous la recompanse.
Mais qu’est-il de besoin qu’on en ait connaissance ?
Prenez-en le plaisir, fuyez-en le renom,
Celle ne peche point qui peut dire que non.


ELEGIE IV


Je reconnoy ma faute et ma lourde ignorance.
Bien que je fusse appris par mainte experiance
Que l’amour d’une femme est pronte au changement,
Et que la mieux bastie a l’air pour fondement ;
Bien que parmy les cris et les poignantes rages
De ceux qui, chacun jour, les esprouvent volages,
Je me creusse entre tous sage et fort advisé
D’avoir si tost connu leur esprit desguisé,