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Et ne vas moissonnant, pour fruit de tes labeurs,
Que regrets espineux et poignantes douleurs.
Hé bien ! qu’y veux-tu faire ? Il faut t’aider toy-mesme,
T’endurcir, t’obstiner et, d’un courage extreme,
Resister au tourment, bien qu’il soit rigoureux,
Et cesser desormais d’estre plus amoureux.
Il est vray qu’une amour, qui de matiere forte
S’est bastie en six ans, pour un vent ne s’emporte.
Entre tes passions le combat sera grand,
Mais rien n’est impossible à qui bien entreprand.
Si tu veux, ce grand feu sera moins que fumée,
Et presque ignoreras que tu l’ayes aimée.
O dieux ! qui de nos faits reglément disposez,
Et des plus affligez les ennuis appaisez,
Si j’ay tousjours vescu sans fraude et sans malice,
Tendez à mes soupirs vostre oreille propice,
Et prenez à mercy mon esprit repentant.
Je ne demande pas que son cœur inconstant
M’aime comme autresfois, ny ne souhaite qu’elle
(Impossible souhait) cesse d’estre infidelle.
Pour fin de mes desirs, je requiers seulement
Que chassiez loin de moy cet assoupissement,
Et ce morne regret qui trop ferme s’y fonde,
Et me fait sembler triste aux yeux de tout le monde.
Privez-moy de memoire, afin qu’à l’advenir
Je ne garde en l’esprit d’elle aucun souvenir,
Et lors que le hazard fera que je la voye,
Mon cœur ne soit esmeu de douleur ny de joye ;
Qu’aucun reste de flamme en moy ne soit trouvé,
Et que plus à ce joug je ne sois captivé ;
Accordez ma priere, ô dieux pleins de clemence !
Tant pour vostre bonté que pour mon innocence.


ELEGIE III


Je ne refuse point qu’en si belle jeunesse
De mille et mille amans vous soyez la maistresse,
Que vous n’aimiez par tout et que, sans perdre tans,
Des plus douces faveurs ne les randiez contans ;
La beauté florissante est trop soudain sechée
Pour s’en oster l’usage et la tenir cachée ;
Mais je creve de rage, et supporte au dedans
Des glaçons trop serrez et des feux trop ardans,
Quand en despit de moy vous faites que je sçache
Le mal, qui n’est point mal lors que bien on le cache.