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Ceste bonne devine, avec son grand sçavoir,
Fait serment qu’elle peut les courages mouvoir,
Soit des prisons d’Amour ouvrant toutes les portes,
Soit les plus libres cœurs chargeant de chaisnes fortes.
Moy-mesme en ay fait preuve, il le faut confesser.
Elle m’a fait trois nuits à la lune passer.
M’a fait plonger trois fois la teste en la riviere ;
J’ay fait maint sacrifice avec mainte priere,
Tandis que de parfums mon corps elle purgeoit,
Et de noires liqueurs son bras nud m’aspergeoit.
Il est vray qu’en mes vœux, ô seul but de ma vie !
D’eschapper de vos mains je n’avoy point d’envie.
Je prioy seulement, d’amour tout enflammé,
Qu’en vous aimant bien fort je fusse bien aimé,
Que jamais nostre ardeur ne se peust voir estainte.
Et que plus desormais vous n’eussiez tant de crainte.
Voilà tous les souhaits qui contant me rendroient.
Si le ciel n’estoit sourd, je sçay qu’ils adviendroient,
Et qu’un trait plus aigu, perçant vostre courage,
Vous seriez moins craintive, et moins tiede, et moins sage.


ELEGIE II


Rompons tous les presens d’une ame si traistresse,
Rompons ces bagues d’or, rompons la blonde tresse,
Dont mon cœur par mon bras est esclave rendu,
Et que tout le passé soit tenu pour perdu ;
Noyons-en la memoire et l’amour tout ensemble ;
Brisons ce diamant, qui si mal luy ressemble,
Et brûlons ces escrits qui sembloient embrasez,
Mais qui, comme son cœur, sont feints et deguisez.
Ah ! je veux qu’on me saigne et qu’on m’ouvre les veines,
Laissant couler le sang dont elles sont si pleines,
Ce mechant sang brûlé, qui me faisait l’aimer,
Et qui dans mon cerveau sçavoit si bien former
Tant d’images trompeurs de façon differente,
Qui tousjours pour mon mal me la rendoient presente.
Plustost que ce venin hors de moy ne chasser,
Je veux avec le fer son portrait effacer
Du rocher de mon cœur ; car si fidelle place
Ne doit tenir en soy rien tant plein de falace.
Pauvre amant miserable, où te vois-tu reduit ?
D’où se levoit ton jour te vient ores la nuict ;
Tes soupirs sont perdus, ta foy tant estimée
Dans une terre ingrate a tout esté semée,