Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Expert j’en puis parler, sa faveur j’ay sentie,
Quand plus fort la raison s’est de moy divertie ;
Quand je suis tout de flamme et que, chargé d’ennuis,
Par la ville à grands pas j’erre toutes les nuits,
Tousjours ceste deesse à mon secours se monstre.
Les batteurs de pavé qu’aux destours je rencontre,
Ne m’ostent point ma cape, et leur fer rigoureux
Ne se trempe jamais dans mon sang amoureux.
Le froid des nuits d’hyver ne me porte nuisance,
Ni le serain, ny l’eau qui tombe en abondance ;
Je ne me sens de rien, tout aide à ma santé,
Pourveu qu’à la parfin, ayant bien escouté,
Lasse de mes travaux, celle qui m’est si belle,
Entrouvrant la fenestre, à voix basse m’appelle.
O toy quiconque sois, qui te vas retirant
Si tard en ton logis, ne sois trop enquerant !
Pren ton chemin plus haut, perte basse la veuë,
Ne pense à remarquer ny l’endroit ny la ruë,
Fay haster ton flambeau, toy-mesme avance-toy,
Et ne t’enquiers jamais de mon nom, ny de moy ;
Ou si sans y penser tu viens à me connoistre,
N’en ouvre point la bouche et n’en fay rien paroistre.
Tout mystere d’amour merite estre caché ;
Qui en use autrement commet un grand peché.
Toutesfois quand la langue indiscrette et mauvaise
D’un sot entreprendroit de corrompre nostre aise,
Il s’en faudroit mocquer : car, maistresse, aussi bien
Vostre mary l’oyant n’en croiroit jamais rien.
J’y ay mis trop bon ordre : une de ces sorcieres
Qui commande aux esprits, hostes des cimetieres,
Fort sçavante en son art, experte à conjurer,
Qui pourroit des enfers Proserpine tirer,
Qui sçait tous les secrets de Circe et de Medée,
Et quelle heure ou quelle herbe est plus recommandée,
Avec de puissans mots, par trois fois rechantez,
A pour moy tous les yeux des maris enchantez.
Si le vostre en mes bras vous voyoit toute nuë,
Il ne croiroit jamais la chose estre advenuë.
Mais sçachez que ce charme est pour moy seulemant,
Et ne vous serviroit pour aucun autre amant ;
Car si vous presumiez tant soit peu luy complaire,
Mary, freres, voisins, sçauroient toute l’affaire.
La vieille me l’a dit pour vous en adviser,
Mais de toutes faveurs vous me pouvez user
Et sans crainte à mes maux donner pronte allegeance ;
Jamais vostre mary n’en aura connoissance.