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Et quand de mes travaux j’attens quelque loyer,
Le tans en ces frayeurs se voit tout employer.
D’une flèche trop mousse Amour vous a blessée.
Il faut à mes fureurs quelque amante insensée,
Qui, mourant chacun jour, me livre cent trespas,
Qui m’oste la raison, le somme et le repas,
Qui craigne de me perdre et qui me fasse craindre,
Qui tousjours se complaigne ou qui m’escouste plaindre,
Qui se jette aux dangers et qui m’y jette aussi,
Qui transisse en l’absence et que j’en sois ainsi,
Qui m’occupe du tout et que je la retienne,
Et qu’un mesme penser nostre esprit entretienne ;
Voilà les passetans que je cherche en aimant.
J’aime mieux n’aimer point que d’aimer tiedement.
L’extremité me plaist. Desirez-vous que j’aime ?
Soyez en vos ardeurs comme en beautez extrême,
Perdez tous ces respects qui nous ont abusez,
Aveuglons les jaloux, trompons les plus rusez,
Et courons les hazards. La princesse d’Eryce,
Amoureuse de Mars, aux hardis est propice,
Et l’esprit que la peur devant fust tenaillant,
Dès qu’il sent son ardeur devient chaud et vaillant.
Cette mere d’Amour, que tout estre revere,
Apprend la simple fille à tromper une mere,
Une tante, une garde, et doucement la nuit
Se couler d’aupres d`elle, aller sans faire bruit,
A tastons, à la porte et, sous l’obscur silence,
Ouvrir à son amant, qui boult d’impatience ;
Aux gestes et aux yeux elle apprend à parler,
Et par chiffre inconnu son secret deceler ;
Elle fait que la femme et jeune, et peu rusée,
Le soin d’un vieil jaloux convertist en risée,
Et que le cœur loyal, d’amour bien embrasé,
Ne trouve jamais rien qui luy soit mal-aisé.
Mais il faut que son trait profondement le touche.
Ce n’est pas pour tous ceux qui l’amour ont en bouche,
Que la coustume ou l’art fait paroistre angoisseux,
Ou qu’une humeur pesante a rendus paresseux ;
Seulement ces amans l’esprouvent favorable,
Qui nourrissent au cœur un ulcere incurable,
Qui bien loin ont chassé tout discours de raison,
Et qu’un sage respect n’enferme en la maison.
Mais comme la fureur à clos yeux les transporte,
Passent cent et cent fois par devant une porte,
Rodent toute la nuict, sans profit bien souvent,
Et ne craignent voleurs, froid, orage, ny vent.