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Mais d’un si puissant trait ma raison est forcée,
Que je suy malgré moy la trace commencée,
Et sers sans profiter une ingrate beauté,
Qui pour aimer autruy n’a plus de liberté.
Or ce dernier confort pour remede j’embrasse,
Que si dans son esprit la raison trouve place,
Et qu’un jour le despit justement allumé
Fasse mourir l’amour d’un qu’elle a trop aimé,
Qu’alors de mes douleurs elle aura connoissance.
Payant tant d’amitié de quelque recompanse.
Et verra quelle erreur follement l’abusoit,
Quand un prince inconstant ses desirs maistrisoit.
L’amour des grands seigneurs est tousjours dommageable
Et sert le plus souvent au vulgaire de fable ;
Nulle discrétion leur fureur ne reçoit,
Et dès qu’ils sont espris chacun s’en apperçoit,
Car cent mille espions veillent sur leurs affaires.
La grandeur et l’amour sont deux choses contraires.



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LIVRE SECOND


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ELEGIE I


Que serviroit nier chose si reconnuë ?
Je l’advouë, il est vray, mon amour diminuë,
Non pour objet nouveau qui me donne la loy,
Mais c’est que vos façons sont trop froides pour moy.
Vous avez trop d’égard, de conseil, de sagesse ;
Mon humeur n’est pas propre à si tiede maistresse,
Je suis impatient, aveugle et furieux.
Pour aimer comme moy trop clairs sont vos beaux yeux.
Toute chose vous trouble et vous rend esperduë,
Une vaine rumeur sans sujet espanduë,
Le regard d’un passant, le caquet d’un voisin,
Quelque parent de loin, un beau frere, un cousin,
De mille estonnemens laissent vostre ame attainte.
Vos femmes seulement vous font pallir de crainte ;