Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il falloit que son cœur fust en roc endurcy,
De pouvoir, trop cruel, l’abandonner ainsi,
Voir pleurer ses beaux yeux pour forcer sa demeure ;
De moy sans la laisser je fusse mort à l’heure.
Helas ! combien depuis ce rigoureux depart,
Desdaignant tous plaisirs, l’ay-je veuë à l’escart
Soupirer tendrement, pensive et solitaire,
Monstrant que sans le voir rien ne luy pouvoit plaire ?
Comme un que le soleil dans un bois a laissé,
Ne peut plus remarquer l’endroit qu’il a passé ;
Une effroyable horreur couvre l’herbe fleurie,
Et ce qui luy plaisoit luy donne fascherie.
Ainsi, se voyant loin du soleil de ses yeux,
La cour ne luy est plus qu’un desert ennuyeux ;
Tout objet luy desplaist, sa parole forcée
Monstre à qui l’entretient qu’ailleurs est sa pensée.
O cœur remply d’amour, de constance et de foy,
Tu meritois trouver un amant tel que toy !
Que de vraye amitié ton amour eust acquise,
Si en autre qu’un grand ta fortune l’eust mise !
Mais durant qu’en regrets tu te vas consumant,
Maudissant la rigueur d’un triste éloignemant,
Celuy qui tient la clef de ton ame enchaisnée,
Ne songe plus en toy, t’ayant abandonnée ;
Une autre affection regne en sa volonté,
Foible jouët à vent, deçà delà porté.
Et puis aimez les grands, croyez en leur langage !
La bise en arrivant n’abat tant de fueïllage,
Et n’esmeut sur la mer tant de flots escumans,
Comme ils font et refont de divers changemans :
Leur flamme aussi soudain est partout espanduë,
Et pensent que l’amour de chacun leur est deuë.
De ce dernier malheur à ma dame advenu,
Je suis plus que jamais angoisseux devenu ;
Car, outre le tourment coustumier que j’endure,
Je pleure maintenant sa piteuse advanture,
Et vay blasmant le ciel d’un esprit despité
De ce qu’il ne punist tant de legereté.
Louë Amour qui voudra, c’est une frenaisie,
Que les fols ont fait dieu selon leur fantaisie,
Un mal, une fureur, un fort enchantement,
Par ses charmes cruels troublant l’entendement.
Las ! si mon foible esprit n’estoit troublé de rage,
Je me retireroy connaissant mon dommage,
Ou, d’un autre desir plus doucement espoint,
Je cesseroy d’aimer ce qui ne m’aime point.