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Qui sans tant de respects descouvrit sa pensée,
Rendant de sa beauté ma maistresse blessée :
Seul il estoit son bien, sa lumiere et son cœur,
Et ce nouveau soucy, de sa crainte vainqueur,
Qui d’un aveugle feu sans pitié la devore,
Luy fait mespriser tout sinon l’œil qu’elle adore.
Elle qui par avant n’osoit lever les yeux,
Se mocque maintenaint du soin trop curieux
De son mary jaloux : elle est toute de flame
Et rien plus que l’Amour ne commande en son ame.
Ah ! prince bien-heureux, roy de sa volonté,
Que je porte d’envie à ta felicité !
Non pour estre sorty d’un si fameux lignage,
Non pour tant de beaux traits qu’on voit sur ton visage,
Non pour estre en cent lieux justement renommé,
Non pour tant de lauriers dont ton front est semé,
Non pour mille vertus honorans ta jeunesse,
Mais pour estre adoré de ma seule deesse ;
Voilà ton plus grand heur, dont je suis envieux ;
Tu as jouy d’un bien qui n’appartient qu’aux dieux.
Or durant cette flame à mon bien si contraire,
Oncques de mes liens je ne me peu desfaire ;
A l’envy du malheur ma constance augmenta,
Et jamais le despit si fort ne m’irrita
Que je peusse blasmer l’ardante amour de celle
Qui, si douce à autruy, m’estoit tousjours cruelle.
De son nouveau desir mon malheur j’accusai,
Et tousjours sans flechir, constant, je m’opposai,
Resolu d’endurer ; mesme, s’il se peut dire,
Pensant à son plaisir j’allegeoy mon martire ;
Et, l’œil devers le ciel, je prioy bassement
Qu’un couple si parfait s’entr’aimast longuement,
Hayant plus que la mort ceux qui, brûlez d’envie,
Troubloient l’heureux repos d’une si douce vie.
Ainsi ferme tousjours, j’aimoy sans estre aimé,
Et comme si mon cœur au sien fut transformé,
J’avoy part à son bien, sa liesse estoit mienne,
Oubliant ma douleur pour soupirer la sienne,
Lorsque quelque envieux d’un langage cuisant,
Alloit de ses amours franchement devisant :
Bref, en ferme amitié n’ayant point de semblable,
J’aidois à mon malheur pour luy estre agreable.
Qui diroit le regret que mon cœur supporta,
Quand ce prince à la fin de ses yeux s’absenta,
Emportant quand et soy son ame et sa puissance,
Et ne luy laissant rien que l’ennuy d’une absance ?