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Ainsi que le brazier sous la cendre caché,
Ou comme un grand ruisseau quand il est empesché.
Mais, plus que mon malheur, je plaignoy le servage
De la jeune beauté, roine de mon courage,
Qui sous un joug si dur faiblement languissoit,
Et sans aucun plaisir sa jeunesse passoit.
Souvent de ce regret ayant l’ame blessée,
A part contre le ciel j’ay ma plainte dressée,
De ce qu’il assembloit, sans ordre et sans raison,
Avec un froid hyver cette belle saison ;
Et bien souvent aussi, plein d’amoureuse rage,
Comme s’il fut present, j’usoy de ce langage :
O mary trop cruel pour si douce beauté,
Que penses-tu gaigner gesnant sa liberté ?
Ton extrême rigueur son vouloir ne retarde,
Si tu gardes le corps l’ame est hors de ta garde,
Tu rens par tant de soin l’amant plus enflammé :
Un plaisir trop permis n’est jamais bien aimé.
Le malade aime l’eau qui luy est deffenduë,
Et l’amour par contrainte est plus chaude renduë.
Argus avoit cent yeux, Amour les enchanta,
Et le palais d’airain Jupiter n’arresta.
Celle peche le moins qui a plus de licence,
Et ce qui desplaisoit est cher par la deffense.
Mais, si ton cœur felon ne peut estre adoucy,
Au moins de la garder laisse moy le soucy.
Ne te travaille point ; je veux que l’estincelle
Qui luit en mon esprit tous les autres decelle ;
Je liray dans leurs cœurs, quand plus ils se feindront,
Et te descouvriray ce qu’ils entreprendront.
De mille autres propos j’accusoy sa rudesse,
M’efforçant quelquefois de luy faire caresse.
Et pour mieux deguiser le mal qui me tenoit,
Je destournoy les yeux quand sa femme venoit ;
Et, de peur seulement de la voir maltraitée,
Ma chaleur d’un soupir n’osoit estre esventée.
Sage discretion, tu m’as bien cher cousté !
Sans tant de vains respects j’eusse plus profité.
Ainsi durant long-tans je languis miserable,
Esperant que l’Amour, quelque jour favorable,
S’ennuyant de mes maux, prendroit de moy pitié,
Et qu’il falloit sans plus couvrir mon amitié.
Las ! qu’un nuage espais couvre l’esprit de l’homme !
Durant qu’en ces desseins mon cerveau je consomme,
Et que je pers le tans, cet archer rigoureux,
Voulut qu’un jeune prince en devint amoureux,