Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/38

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ainsi le prince unissait une piété apparente au libertinage le plus immonde ; il demandait à Dieu les gloires de son chaste paradis pour d’effrontés Ganymèdes. L’ardent catholique, le principal instigateur de la Saint-Barthélemy, profanait sans pudeur les mystères de cette religion qu’il avait voulu faire triompher par le meurtre. Le passé, il faut bien le reconnaître, a généralement de tristes protecteurs. Ces hommes corrompus, qui soutiennent la cause de la mort, semblent porter en eux-mêmes la putréfaction des cadavres. N’était-ce pas du sein d’une abominable dépravation que les empereurs romains calomniaient et persécutaient les apôtres de l’Évangile ? Vous voyez quelles infamies étalaient au grand jour les modernes champions du fanatisme. Le dix-huitième siècle nous a montré tous les vieux pouvoirs plongés dans la boue, avant que la révolution les couvrît de ses flots vengeurs, purifiât la société de son déluge expiatoire. Aussi quand les chefs de la routine, les conservateurs du mal, les princes des ténèbres succombent enfin sous le poids de la raison et de l’équité, leur chute inspire une joie sans mélange. Leur caractère étant aussi vil que leur intelligence est méprisable, que pourrait-on regretter en eux ? Leurs sépultures sont d’infects charniers dont on s’éloigne avec dégoût, tandis que les pieuses fleurs de l’attendrissement et du souvenir parfument les tombes des héros, des penseurs et des justes.

La mort des trois mignons ne porta aucun préjudice à la fortune de leur complaisant panégyriste. Anne, vicomte de Joyeuse, et la Valette, tous deux issus de grandes familles, les remplacèrent dans l’alcôve du roi. Le premier surtout exerça bientôt une influence irrésistible. L’année même où avaient péri ses trois prédécesseurs, lors de l’institution de l’ordre du Saint-Esprit, en décembre 1578, le prince voulut qu’il portât un vêtement de même couleur et de même forme que le sien. Trois ans après, il lui fit épouser Marguerite de Lorraine-Vaudemont, sœur de sa propre femme. Les réjouissances durèrent dix-sept jours et coûtèrent une somme qui vaudrait à notre époque trente millions. Or c’était un jeune homme doux, spirituel, affable et généreux. Son caractère et celui de Desportes ayant beaucoup d’analogie, leurs relations devinrent promptement très-amicales. Ce fut alors que l’étoile du voluptueux rimeur atteignit son point culminant. Le favori, créé duc et pair, lui demandait avis presque en toute chose[1]. Il lui donna, au rapport de Balzac, une abbaye

  1. Tallemant des Réaux.