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Ou fust quand, tout suant d’avoir couru le monde,
Il lave en l’Ocean sa chevelure blonde ;
Ou fust en plein my-nuit, quand les hommes lassez
Sont plus profondement d’un fort sommeil pressez.


DISCOURS


Si l’Amour est un dieu, c’est un dieu d’injustice,
Reconnaissant le moins ceux qui luy font service ;
Un aveugle en nos maux, un enfant inconstant,
Au jouët du hazard ses faveurs departant,
Qui s’abreuve de sang et de larmes brûlantes,
Et qui perçe les cœurs de flèches differantes,
Afin que nos esprits, errans diversement,
Sans jamais reposer soient tousjours en tourment.
Vous qui de ses rigueurs n’avez la connoissance,
Ne vous esclavez point, faites luy resistance ;
Les plus loyaux amans sont moins recompensez.
Mon mal peint en ces vers le fait connoistre assez.
Cet enfant invaincu, Dieu de sang et de flame,
Un jour, pour mon malheur, me fist voir une dame
Qui de ses chauds regards tout le ciel allumoit,
Et les petits amours comme roses semoit.
Si tost que je la vey, mon ame en fut esmuë,
Et l’Amour aussitost flamboyant en sa veuë,
Comme un esclair subtil par un verre élancé,
Passa dedans mon cœur, qu’il n’a jamais laissé.
Je l’adoray depuis comme chose divine,
Et rien qu’un feu si beau n’eschauffoit ma poitrine ;
En ses yeux seulement tout mon heur s’assembloit,
Et tout autre plaisir ennuyeux me sembloit.
Mais pour premier malheur de ma triste avanture,
Un mary deffiant, de jalouse nature,
Comme un dragon veillant de la voir m’empeschoit,
Et son riche thresor avarement cachoit.
Tout ce qu’on dit d’Argus de luy se peut bien dire :
Jamais le doux sommeil, quand Phebus se retire,
Ne luy ferme les yeux ; il veille incessammant,
Ou, s’il dort, il l’entend et la voit en dormant ;
Et, quand un papillon volle autour de la belle,
Il crie et veut sçavoir s’il est malle ou femelle.
De ce maudit jaloux mon mal est procedé ;
Car depuis, la trouvant, cent fois j’ay retardé
(Trop discret pour mon bien) de luy faire ma plainte,
Et tandis mon desir croissoit par la contrainte,