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Ainsi que les serpens, les tigres et les loups,
Aux mortels mille fois plus courtois et plus doux,
Et comme on voit sortir, parmy les bonnes plantes
Des chardons inutils et des herbes méchantes.
Hé pourquoy la nature, et les cieux n’ont permis
Que les hommes par eux, et d’eux mesmes amis,
Sans toy, sexe imparfait, peussent avoir naissance,
Pour ne te devoir plus ceste reconnoissance ?
Ainsi que nous voyons qu’un soigneux jardinier
Ente sur un prunier les greffes d’un prunier,
Un pommier sur un autre, et un chesne sauvage,
De ses jeunes rainseaux peupler tout un bocage ;
Ou comme le phenix, soy-mesme se brûlant,
Sans finir par sa fin se va renouvelant.
Mais enfin je m’arreste aux effets de nature,
Qui tout cet univers conduit à l’avanture,
Par hazard, par fortune et par legereté,
Et qui se resjouyt de sa diversité.
Quelle perfection faut-il esperer d’elle,
Puis qu’on sçait que nature est mesme une femelle ?
Cessez pourtant, cessez, femmes de vous vanter
De ce que vous pouvez les hommes enfanter,
Et qu’ils naissent de vous, n’en soyez arrogantes ;
Les lys au teint d’argent naissent d’herbes puantes,
On voit sortir des fleurs d’un fumier tout pourri,
Et le bouton vermeil sur l’espine est nourri,
Sources de tous malheurs, superbes desguisées,
D’orgueil, d’ire, de rage et d’envie embrasées,
Qui portez dans le cœur l’inconstance pour loy,
Sans amour, sans raison, sans conseil et sans foy,
Pleines de trahisons, temeraires, cruelles,
Et des pauvres humains les pestes éternelles !
Ainsi crioit Philandre, embrasé justement,
Donnant air par soupirs à son feu vehement,
Et faisant de ses yeux deux bouillantes fontaines,
Qui distilloient sa vie en distillant ses paines.
Les bestes d’alentour s’arrestoient pour l’ouyr,
Les oiseaux tous ravis demeuroient sans fuïr,
Attentifs à ses plaints, et par un doux murmure
Les rivages prochains plaignoient son advanture ;
Les rochers et les monts de pitié se fendoient,
Et jusqu’au plus haut ciel ses regrets s’entendoient,
Regrets demesurez qui n’avoient point de trève,
Fust au point du matin, quand l’aurore se lève,
Fust au plus chaud du jour, quand le soleil ardant,
A moitié de son cours, nous brûle en regardant,