Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/376

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mourons, mourons, dit-il, punissons nostre erreur,
Eschappons par le fer des dents de la fureur,
Faisons rire une ingrate, et donnons quelque cesse
Au regret eternel qui nous charge et nous presse.
Las ! que j’aime la mort qui me peut secourir,
Mais je maudy le ciel qui ne m’a fait mourir,
Quand j’estimoy son cœur estre un roc immuable !
La mort m’eust esté lors bien douce et favorable.
Achevant ces propos, comme il veut s’avancer,
Pour le fer inhumain dans sa gorge enfoncer,
Et qu’il court gayement à la mort toute preste,
Il sent qu’au mesme instant un bon esprit l’arreste,
Qui luy saisit le bras, qui le fait tressaillir,
Qui luy fait le cousteau de la dextre saillir,
Et qui parle en son cœur disant en telle sorte :
Quelle extrême fureur hors de toy te transporte ?
Quelle rage te tient ? quel brasier vehement
Te devore l’esprit, l’ame et l’entendement,
Que tu vueilles perir d’une mort si cruelle,
Pour l’impudicité d’une dame infidelle,
Encor sans te vanger et sans faire sentir
Si de se prendre à toy l’on se peut repentir ?
Venge-toy pour le moins, puis d’un grand coup d’espée
Mets fin à ton amour si laschement trompée.
Ainsi ce bon esprit l’amant dissuada,
Et l’heure de sa fin par ces mots retarda,
Au point que le soleil commençoit sa carriere,
Monstrant ses cheveux d’or rayonneux de lumiere.
Ce chetif amoureux, amoureux et jaloux,
Tout cuit de passions, de rage et de courroux,
Se met à discourir en sa triste pensée
Comme il pourra venger son amour offensée.
Cent mille tourbillons l’un sur l’autre amassez,
Cent pensers differens contrairement poussez
Luy livrent la bataille, et font dedans sa teste
Un brouillement confus, tout bruyant de tempeste ;
Neptune, en tans d’hyver, n’est point plus agité,
Estant poussé des vents d’un et d’autre costé,
Et ne voit tant de flots et tant de vagues perses,
Comme il roule en l’esprit d’affections diverses.
Il ne faut point penser qu’il puisse reposer ;
Il rève, il se despite et se sent embraser
Le cœur tout à l’entour d’une nouvelle flame,
Dès qu’il se ressouvient des ruses de sa dame,
De ses soupirs trompeurs, de ses mots déguisez,
De ses yeux tant de fois feintement arrosez ;