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ELEGIE XIX


Vous qui, pipez d’Amour, d’erreur et de jeunesse,
Adorez vainement une folle maistresse,
Vous qui mesme sur vous n’avez plus de pouvoir,
Vous qui sous bonne foy vous laissez decevoir,
Vous qui prenez le blanc pour une couleur noire,
Vous qui de vos malheurs bastissez une gloire
Et qui, tout possedez de charme et de poison,
Estes sans yeux, sans cœur, sans ame et sans raison ;
Oyez le juste dueil d’une personne attainte,
Oyez l’aspre courroux et l’ardante complainte
Du desolé Philandre, à bon droit irrité
Pour avoir descouvert une infidelité ;
Et pour avoir perdu sa jeunesse abusée,
Servant fidellement une Alcine rusée,
Une fine Lamie, une peste, un venin,
Et tout le deshonneur du sexe feminin.
Un des jours de l’esté que la flamme étherée
Brûloit de toutes parts d’ardeur demesurée,
Cet amant furieux, qui sentoit au dedans
De son juste despit les aiguillons ardans
Et les élancemens d’une forcenerie,
Tombe du haut de soy, tout vaincu de furie,
Sans parler, sans mouvoir, palle et tout esperdu,
Ayant avec l’esprit tout sentiment perdu.
Il ne pouvoit pleurer, encor qu’il eust envie
De voir couler en pleurs ses amours et sa vie ;
Mais, comblé de douleur, sans cesse il halletoit,
Et son cœur mutiné pour sortir combatoit.
Il demeura long-tans ainsi vaincu de rage,
Ayant les mouvemens, le geste et le visage
D’un qui tire à la mort, lors qu’il va fremissant,
Avec un gros hocquet les membres roidissant ;
Puis il revient un peu, rentrouvrant la paupiere,
Et monstre qu’à regret il voit nostre lumiere,
Tant il est las de vivre, et tant il a desir
Que le ciseau fatal tranche son desplaisir.
Mais, voyant que la mort n’abregeoit sa misere,
Il saute sur les pieds transporté de colere,
Pour saisir une espée et s’en percer le flanc,
Ou pour plonger sa dague aux sources de son sang.
Tenant le fer tout nu dans sa dextre meurtriere,
Il fait sortir ces mots pour complainte derniere :