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Et croist que ceste amour toute autre amour efface,
Helas ! vous sçavez bien qu’il faut que je le face,
Encor que ce me soit un extrême tourment,
Et qu’il ne m’est permis vous aimer autrement.
Si j’osoy me douloir des maux que vous me faites,
Pouvoir parler à vous, voir vos beautez parfaites,
Encor que vos propos me fussent rigoureux,
Quel amant plus que moy se diroit bien heureux ?
Contant, je me plairoy au fort de ma souffrance ;
Car le bien de vous voir me seroit recompance.
Mais ce m’est un tourmant impossible à penser
Qu’il faille en mes travaux ma volonté forcer,
Et brûlant, sans crier, d’une flamme secrette,
Me priver, malheureux, du bien que je souhaitte ;
M’esloigner de vos yeux, n’oser m’en approcher,
Et pour couvrir mon mal un autre rechercher.
Toutesfois je le fais, afin qu’en cette sorte
Vous connoissiez au vray l’amour que je vous porte
Et, qu’estant de vos yeux vivement embrasé,
Le plus fascheux sentier ne m’est point mal-aisé.
Or de vous deffier que, sous ceste entreprise,
Je poursuive une amour dont mon ame est esprise
Et, qu’estant autre part, j’y reçoive plaisir,
Plustost qu’y demeurer pour cacher mon desir,
Vous n’auriez pas raison. Car cil qui vous a veuë
D’attraits et de beautez si richement pourveuë
Peut aller tout par tout sans crainte et sans danger
Et, quoy qu’il voye après, il ne peut plus changer.
De toute autre prison la vostre le delivre,
Et le seul souvenir de vos yeux le fait vivre.
J’en parle asseurément pour l’avoir esprouvé ;
Car depuis que l’Amour dans mon cœur eut gravé
Vostre divin pourtrait, qui causa sa victoire,
De tout autre penser je perdy la memoire ;
Je ne pense qu’en vous qui m’avez arresté,
Et mon œil est aveugle à toute autre beauté.
Vivez doncques, madame, à bon droit asseurée
Que ma foy vous sera d’éternelle durée.
Je veux, sans varier, mourir en vous aimant.
Cependant s’il vous plaist, pour mon contentement,
Jugez si je supporte une douleur extrême,
Feignant d’aimer ailleurs durant que je vous aime.