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Car eux communément au lieu de les celer,
Trouvent mille sujets pour en faire parler,
Où moy je les contrains et les cache en mon ame,
Aimant mieux endurer que de nuire à ma dame,
Et ne voulant qu’un peuple ignorant et sans loy
Connoisse mes desirs et babille de moy.
Ceux qui sçavent comment à part je me retire,
Que je me plais tout seul, que j’aime tant à lire
Les passions d’Amour, ses effets rigoureux,
Jugent tout aussi tost que je suis amoureux.
Ils le disent assez, mais ils n’ont connoissance
Que vous me reteniez en vostre obeïssance,
Tant je sçay bien couvrir mon desir violant,
Qui, las ! croist d’autant plus que je le vay celant !
Mais j’aime mieux souffrir une douleur plus forte,
Que mon allegement quelque ennuy vous apporte ;
J’aime mieux me priver du beau jour de vos yeux,
Fuyant ce que j’adore et que j’aime le mieux,
Car j’ay ce reconfort, qui mon mal diminuë,
De penser que ma foy par-là vous soit connuë,
Et que la verité de mon affection
Se découvre aisément par ma discretion,
Qui est de fermeté le plus seur tesmoignage ;
Jamais homme discret ne sçeut estre volage.


ELEGIE XVIII


Celuy n’avoit d’Amour essayé la puissance,
Qui le fit un enfant privé de connoissance,
Ouvert, sans fiction, sans yeux, sans jugement,
Aussi nu de conseil comme d’accoustrement ;
Car, pour rendre une amour éternelle et secrette,
Trompant les aiguillons de la tourbe indiscrette,
Il faut avoir des yeux, estre sage et rusé,
Et se masquer le cœur d’un propos déguisé,
Qui paroisse sans art, entier et veritable,
Autrement une amour ne peut estre durable.
Ceux le sçavent assez qui, craignans les dangers
Qu’apporte un haut desir, par leurs yeux messagers
Font entendre à leur dame, à secrettes volées,
L’ardeur et la grandeur des flammes recelées ;
Et par tout autre part déguisans leur tourment,
Monstrent de n’aimer point, discourent librement ;
Et souffrans sans mot dire en longue patience,
Attendent que le tans leurs douleurs recompense,